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L'EUROPE FACE A LA CRISE

Entretien avec Michel Barnier, Commissaire européen chargé du marché intérieur et des services depuis le 9 février 2010 par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris

n° 129 - Automne 2010

Michel Barnier Baudouin Bollaert - Qu'est-ce qui vous a poussé à revenir à Bruxelles ?
Michel Barnier - C'est un projet que j'avais en tête depuis longtemps. Je garde un excellent souvenir de mon mandat de commissaire en charge de la politique régionale et des réformes institutionnelles, sous l'autorité de Romano Prodi, de 1999 à 2004. Lorsque, comme moi, on est dans la vie publique depuis de longues années, il faut se demander où se situe sa propre valeur ajoutée. Depuis que je me suis engagé en politique, j'ai toujours été gaulliste et européen. L'avenir de la France passe par une Europe forte et c'est à cette Europe forte, économiquement et politiquement, que j'entends travailler. Après la carrière variée qui a été la mienne, je pense donc que ma valeur ajoutée se trouve ici, à Bruxelles. Je suis revenu grâce à la confiance de Nicolas Sarkozy, qui m'a désigné, et de José Manuel Barroso, qui m'a proposé un poste majeur au sein de la Commission qu'il préside. Nous sommes arrivés à un moment charnière pour l'unité de l'Europe, ce qui renforce ma motivation. Mes deux maîtres mots sont « solidarité » et « unité ».
B. B. - Visiez-vous précisément le poste de commissaire en charge du marché intérieur et des services ?
M. B. - Je ne vais pas utiliser la langue de bois : ma réponse est oui. J'en avais d'ailleurs parlé en 2004 avec Mario Monti, qui avait été commissaire au marché intérieur avant de s'occuper plus tard de la concurrence, et il m'avait encouragé dans cette voie. Vous savez, le marché intérieur, c'est le socle du projet européen. J'ai dans mon bureau la photo de Jean Monnet et de Robert Schuman lançant, le 9 mai 1950, la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Qu'est-ce que la CECA sinon la première pierre du marché intérieur ? Aujourd'hui, comme l'a montré la campagne référendaire de 2005, un grand nombre de citoyens et de dirigeants de petites ou moyennes entreprises en ont peur. Ils ont le sentiment que ce marché n'est pas fait pour eux, qu'il est trop libéral ou trop bureaucratique... Il faut donc les réconcilier avec ce qui demeure la base, le fondement, le coeur de la construction européenne et j'ai bien l'intention d'y travailler de toutes mes forces.
B. B. - On a dit que vous auriez été intéressé par le poste de haut représentant pour les affaires extérieures dévolu finalement à Catherine Ashton. Est-ce vrai ?
M. B. - Le poste occupé par Catherine Ashton avec beaucoup de ténacité et de volontarisme est aussi important que passionnant. Mais j'ai toujours eu en tête, je le répète, un portefeuille économique. Ce qui ne m'empêche pas - car je fais partie d'un collège de commissaires qui prennent leurs décisions ensemble - de m'intéresser à la politique étrangère, à la défense ou à la protection civile, de la même façon que les autres commissaires s'intéressent à mes sujets. Dans la mesure de mes moyens, j'aiderai Catherine Ashton à construire avec le Conseil des ministres et le Parlement européen un véritable lieu de diplomatie commune.
B. B. - Au poste exposé qui est le vôtre, n'avez-vous pas le sentiment, parfois, d'être une sorte de chien dans un jeu de quilles ?
M. B. - Aucun Français avant moi n'avait occupé ce poste. Je suis le premier, et je sais tout ce qui a été dit, lors de ma nomination, à la City de Londres ou ailleurs... Mais ce qui aurait dû étonner les uns et les autres, ce n'est pas qu'un Français soit en charge du portefeuille du marché intérieur et des services ; c'est qu'il n'y en ait jamais eu auparavant ! Je suis indépendant des intérêts nationaux, je ne prends mes ordres ni à Londres, ni à Paris, ni à Berlin, ni à Washington et j'exerce mes responsabilités dans le seul intérêt européen. Nul n'ignore que nous sommes dans une situation très sérieuse qui nous oblige à tirer les leçons de la crise. Il faut se serrer les coudes, jouer collectif. Au-delà des petits jeux stériles, tous les acteurs que je suis amené à rencontrer en sont conscients. Ils veulent mettre en place une régulation intelligente et une bonne supervision pour changer les mauvaises habitudes et les mauvaises pratiques. Voilà la réalité de ce que je constate au jour le jour.
B. B. - Justement, êtes-vous satisfait des résultats obtenus jusqu'à présent ?
M. B. - L'accord conclu en septembre sur la supervision financière constitue une avancée majeure. Il y a quelques mois, sur la base des propositions de la Commission, bien peu de gens prédisaient un accord entre le Conseil des ministres et le Parlement sur ce sujet sensible. Or le compromis final a été adopté à l'unanimité du Conseil et à la quasi-unanimité du Parlement. Il porte sur la création du Comité européen du risque systémique (CERS), qui sera présidé par le président de la Banque centrale européenne, et sur la mise en place de trois agences : la première, à Londres, chargée du contrôle des banques ; la deuxième, à Paris, des marchés financiers ; et la troisième, à Francfort, du secteur des assurances. Nous nous dotons en quelque sorte d'« écrans radars » ou de « tours de contrôle » pour compléter le travail des régulateurs nationaux. Notre but : prévenir, détecter la montée du risque et agir en cas d'urgence. J'ajoute, évidemment, que nous n'allons pas nous arrêter là. Semaine après semaine, pièce après pièce, sujet par sujet, nous produirons les règlements et les textes de loi attendus par les citoyens et sur les grandes lignes desquels les dirigeants du monde se sont accordés en avril 2009, au G-20 de Londres.
B. B. - On entend pourtant dire qu'après avoir été sauvées du désastre par les pouvoirs publics les banques auraient repris leurs affaires comme avant... Les marchés seraient-ils définitivement plus forts que les États ?
M. B. - D'abord, si plusieurs banques ont été aidées, voire sauvées, grâce à l'argent public, cet …