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Entretien avec Andry Rajoelina, Président de la Haute autorité de transition de la République de Madagascar depuis le 21 mars 2009. par Aymeric Chauprade

n° 129 - Automne 2010

Andry Rajoelina Aymeric Chauprade - Monsieur le Président, Madagascar est-il un pays isolé comme le soutiennent nombre d'observateurs occidentaux ?
Andry Rajoelina - Madagascar n'est pas un pays isolé ; c'est un pays en transition, donc provisoirement en dehors de la légalité constitutionnelle. Ceux qui font pression sur le pouvoir malgache ne semblent rien voir des grands pas que nous accomplissons vers un retour à l'ordre constitutionnel.
Je ne suis pas arrivé seul à la tête de l'État. Ce sont les citoyens malgaches, avec le soutien d'une grande partie des élus et des militaires, qui ont contraint le dictateur au départ. C'est ce vaste mouvement populaire qui m'a porté. Bien sûr, la méthode n'est peut-être pas tout à fait conforme à l'esprit de la constitution. Mais lorsqu'il s'agit de faire tomber un pouvoir qui lui-même n'est plus conforme, depuis longtemps, à la constitution, on peut vous reconnaître des circonstances atténuantes ! En tout cas, il est étonnant de recevoir des leçons de morale de la part de nations qui prétendent abattre des dictatures pour installer à leur place des démocraties ! Nous, Malgaches, nous nous sommes débarrassés nous-mêmes de la dictature, sans l'aide de l'extérieur. Ne serait-ce pas par hasard ce que l'on nous reproche ?
Comment expliquer que les Européens et les Américains restent étrangement muets sur la réalité dictatoriale de l'ancien régime ? Croyez-moi : ce « deux poids deux mesures » choque beaucoup les Malgaches. Car la réalité de ce régime, c'était un détournement de l'argent public dans des proportions inégalées dans toute l'histoire de Madagascar, des arrestations arbitraires, des disparitions de personnes, des spoliations de biens brutales et, pour finir, des dirigeants qui font tirer sur le peuple à la mitraillette depuis les fenêtres d'un palais présidentiel qui n'était même pas menacé !
A. C. - Disposez-vous de soutiens au sein de la communauté internationale ?
A. R. - Bien sûr. Nous ne sommes pas sous embargo ! Plusieurs États approuvent ouvertement la transition et nous font confiance pour rétablir l'ordre constitutionnel : en premier lieu la France - et c'est évidemment un appui de poids -, mais aussi le Togo, le Sri Lanka, la Thaïlande, la Syrie, etc.
Tous les responsables de ces pays m'ont adressé, en mon nom propre, une lettre de félicitations pour mon accession à la tête de la Haute autorité de transition. Mais qu'il n'y ait pas de malentendu : dans mon esprit, comme dans celui de ceux qui soutiennent ce processus de transition, le pouvoir ne sera vraiment légitime qu'à l'issue d'élections libres, transparentes et démocratiques.
A. C. - Précisément, comment comptez-vous restaurer la légalité constitutionnelle ?
A. R. - La situation est, au fond, plus simple qu'elle n'y paraît. La Haute autorité de transition que je préside dispose d'une légitimité dans la mesure où elle est l'expression de la souveraineté populaire ; elle a pour mission de conduire le retour à l'ordre constitutionnel. Nous travaillons sur une nouvelle constitution qui doit permettre à Madagascar d'entrer dans une véritable ère démocratique. Jusqu'à présent, aucun président n'a pu achever normalement son mandat. Pourquoi ? Parce que aucun contre-pouvoir au régime présidentiel n'a pu empêcher les régimes qui se sont succédé de dériver vers le népotisme, la corruption généralisée et la prédation des fonds publics. Avec cette nouvelle constitution, le président ne pourra plus mettre l'économie du pays au service de ses intérêts personnels ; il ne pourra plus, non plus, transformer son pouvoir en un pouvoir autocratique.
A. C. - Qu'entendez-vous exactement par nouvelle constitution ? Et, une fois la nouvelle constitution adoptée, que ferez-vous ?
A. R. - Tout le monde est d'accord sur le fait qu'il faut une nouvelle constitution. Le Parlement a toujours été considéré comme une simple chambre d'enregistrement. Mes prédécesseurs ont tous mis l'Assemblée nationale en coupe réglée ou l'ont contournée par l'usage abusif des décrets. Ils ont redécoupé les circonscriptions électorales et dissous le Parlement lorsqu'une opposition forte commençait à s'y former. Il faut en finir avec ces pratiques : la nouvelle constitution renforcera les prérogatives de l'Assemblée et, d'une manière générale, la séparation des pouvoirs. Nous pourrons alors organiser de nouvelles élections législatives puis présidentielles. Des élections véritablement démocratiques, c'est-à-dire assurant l'égalité des chances pour tous les candidats dans l'accès aux moyens de communication. Je vous épargnerai la liste de ce qui ne va pas dans les pseudo-élections à Madagascar, mais je vous donnerai un seul exemple : chez nous, chaque candidat doit se débrouiller pour imprimer et acheminer ses propres bulletins de vote. Lors des législatives de 2007, ils ont été très nombreux à ne pas avoir pu les installer en temps et en heure. Et des obstacles de ce genre, je peux vous en citer des dizaines ! Aucune élection sérieuse ne pourra avoir lieu tant qu'un recensement rigoureux n'aura pas été réalisé et qu'un système de vote fiable et sécurisé n'aura pas été mis en place.
A. C. - Pouvez-vous nous expliquer la nature exacte du désaccord qui vous oppose à la médiation internationale ?
A. R. - D'abord, il y a un problème de définition. Ce que l'on appelle « médiation » n'a rien à voir avec un corps constitué. C'est un ensemble de négociations comprenant chaque fois des participants différents, eux-mêmes issus de différentes institutions internationales : Union européenne, SADC (South African Development Community), Union africaine, Nations unies, Organisation internationale de la francophonie... Et ne vous imaginez surtout pas que ces organisations sont neutres ! Elles représentent des pays qui défendent, chacun, leurs intérêts et qui se livrent à de savants calculs par rapport à tel ou tel candidat malgache. Surtout par rapport aux ex-présidents car les anciennes connivences économiques ont la vie dure. Je pense, en particulier, aux liens de Ravalomanana avec certains grands pays de la SADC. Ceux qui ont eu le pouvoir ici ont gagné beaucoup d'argent - un argent qui leur a permis de se constituer des clientèles au sein des organisations internationales. Où est le peuple malgache dans tout cela ?
A. C. - On l'a …