Les Grands de ce monde s'expriment dans

SLOVAQUIE : LE SENS DES RESPONSABILITES

par Luc Rosenzweig

Luc Rosenzweig - Madame le premier ministre, vous êtes une nouvelle venue dans le club des chefs de gouvernement des pays de l'Union européenne. Pouvez-vous décrire l'itinéraire qui vous a conduite jusqu'à cette fonction éminente ?
Iveta Radicova - Le chemin a été plutôt long. Avant 1989, je n'étais engagée dans aucune action politique. Au début des années 1980, sous le régime communiste, pourtant, j'avais signé une lettre ouverte de quatorze sociologues adressée au gouvernement pour protester contre des arrestations de dissidents. La réaction des autorités n'a pas été tendre, et notre carrière universitaire a failli s'arrêter là... Comme je n'étais pas membre du Parti communiste, ni d'aucun parti satellite de ce dernier, j'ai logiquement choisi, en tant que sociologue, de travailler dans le domaine des statistiques et de la méthodologie, où le poids de l'idéologie se faisait moins sentir.
Survint novembre 1989 et la « révolution de velours » en Tchécoslovaquie. Avec mes collègues du département de sociologie de l'université de Bratislava je me suis engagée dans la création et l'organisation de « Public contre la violence » (1). Nous avons contribué à rédiger le programme de cette organisation.
En avril 1990, on m'a offert d'être cooptée pour siéger comme députée au Parlement qui devait préparer les premières élections libres du pays. J'ai décliné cette offre, et j'ai décidé d'accepter une bourse d'études pour Oxford en vue d'obtenir un PhD de cette prestigieuse université. Dans mon esprit, la liberté, c'était bien, mais c'était encore mieux de se préparer à l'exercer.
Aux élections de 1990, « Public contre la violence », qui entre-temps s'était constitué en parti politique, allié à son homologue tchèque « Forum civique », a obtenu le plus grand nombre de sièges au Parlement. À mon retour d'Oxford, le président de ce parti m'a demandé d'en devenir le porte-parole, alors que je n'en étais même pas membre !
L. R. - Votre carrière universitaire était donc terminée avant d'avoir réellement commencé...
I. R. - Absolument pas. Jusqu'en 2005, je me suis toujours attachée à concilier mon activité de recherche et d'enseignement avec une participation à la vie politique, dans le cadre de la fédération tchécoslovaque d'abord, puis en Slovaquie après la séparation de 1992. Je faisais partie de divers groupes d'experts chargés d'élaborer les réformes économiques et sociales pour les ministères concernés. Mais cette double activité n'a plus été possible lorsque, en 2005, j'ai accepté le poste de ministre du Travail et des Affaires sociales au sein du gouvernement dirigé par Miklos Dzurinda.
L. R. - Pour mieux cerner votre personnalité, pourriez-vous nous dire qui, parmi les grands dirigeants politiques mondiaux, du présent ou du passé, pourrait vous servir de modèle ?
I. R. - Winston Churchill. Il incarne, à mes yeux, l'autorité et l'art de prendre les bonnes décisions. J'admire surtout son aptitude à remonter au sommet après avoir chuté. C'était un combattant. Si je devais citer quelqu'un qui exerce actuellement une responsabilité politique, ce serait la chancelière allemande Angela Merkel.
L. R. - Vous préférez donc que l'on vous compare à Angela Merkel plutôt qu'à Margaret Thatcher...
I. R. - Ni l'une ni l'autre ! Vous savez, je ne suis en fonctions que depuis quelques semaines et je ne dirige qu'un petit pays. Les dames que vous avez citées sont ou ont été dans une situation bien différente de la mienne !
L. R. - Vous gouvernez depuis le mois de juillet avec une coalition formée de quatre partis dont le vôtre, le Parti chrétien-démocrate. L'une de ces formations, le SaS, ne semble pas être un partenaire de toute confiance. Ses dirigeants n'hésitent pas à faire des déclarations gênantes pour le gouvernement. Comment allez-vous procéder pour assurer la stabilité de votre coalition qui ne dispose que de quatre voix de majorité au Parlement ?
I. R. - La coalition que je dirige est comparable, dans son orientation, à celle qui gouverne actuellement en Allemagne : une alliance de chrétiens-démocrates et de libéraux (2). Ce n'est pas toujours un attelage facile à mener, mais nous avons un socle commun qui a été défini lors de la campagne électorale puis au lendemain des élections. Nous allons concentrer nos efforts sur la mise en oeuvre des parties de ce programme qui font l'objet d'un large accord au sein de la coalition, comme la réduction des déficits publics et la lutte contre la corruption. Pour le reste, il existe une loi non écrite en politique : tout gouvernement dispose de cent jours pour se mettre en route et pour roder son fonctionnement interne. Nous ne sommes pas encore arrivés au terme de ces cent jours. Nous avons le temps de régler les quelques petits problèmes qui se posent avec le SaS. Il s'agit d'un jeune parti qui n'a ni l'expérience du gouvernement ni celle de l'opposition, et qui s'est trouvé du jour au lendemain propulsé aux affaires. Je suis convaincue qu'après ces faux pas de débutants les responsables du SaS vont trouver leurs marques...
L. R. - Ce parti doit son succès dans les urnes à l'accent mis sur la lutte contre la corruption dans la classe politique et l'administration. Comment voyez-vous ce problème et comment envisagez-vous d'y remédier ?
I. R. - Si vous regardez les tableaux relatifs à la corruption dans la sphère publique, vous pourrez constater que la Slovaquie se trouve malheureusement dans le peloton de tête des pays démocratiques touchés par ce fléau. Ces quatre dernières années, sous le précédent gouvernement, la situation a empiré. Je ne suis pas naïve au point de croire que l'on peut éradiquer la corruption d'un coup de baguette magique. Cependant, nous avons bon espoir de la faire reculer en appliquant le programme anti-corruption radical établi par mon gouvernement. Cette réforme commence par l'obligation de publicité pour tous les documents et contrats relatifs aux finances publiques. Seuls seront valides les contrats qui auront fait l'objet d'une publication au moins dix jours avant leur signature. Nous voulons aussi que les appels d'offres publics soient publiés le plus largement possible et dans …