Entretien avec
Bei Xu
par
Yves Messarovitch, Économiste
n° 129 - Automne 2010
Yves Messarovitch - Peut-on dire que le yuan reste considérablement sous-évalué par rapport au dollar et à l'euro ? Patrick Artus et Bei Xu - Nombre d'estimations circulent à ce sujet. Selon les méthodes utilisées, cette sous-évaluation varie entre 10 et 50 %... Le RMB est effectivement sous-évalué. Il l'est même fortement si l'on compare le coût salarial unitaire chinois, mesuré en termes de parité de pouvoir d'achat, avec celui des pays développés. On obtient alors un chiffre proche de 50 %. Mais il ne faut pas confondre sous-évaluation absolue et sous-évaluation relative. En effet, il est courant que les pays à faible niveau de revenu voient leur monnaie sous-évaluée. Lorsque ces pays s'intègrent dans l'économie mondiale, ils affichent des niveaux de prix et de salaires très faibles, l'évolution des écarts de ces derniers avec ceux des Occidentaux ne pouvant être instantanément corrigée par la variation du taux de change nominal. Une monnaie sous-évaluée leur permet de gagner des parts de marché et d'accélérer la convergence de leurs revenus. Si l'on raisonne maintenant en termes relatifs, c'est-à-dire en tenant compte de la faiblesse du revenu par tête, on ne trouve alors aucune sous-évaluation du RMB. Et si l'on observe le revenu par habitant des citadins - la part urbaine de la Chine étant la seule en concurrence avec les autres pays -, on finit même par conclure à une légère sur-évaluation du RMB d'environ 12 %... Y. M. - La sous-évaluation du yuan est-elle appelée à durer ? P. A. et B. X. - La stratégie de développement de la Chine consiste à exporter massivement des produits intensifs en travail. De fait, grâce à l'avantage comparatif en facteur travail et grâce au soutien de la politique économique, le secteur exportateur est devenu non seulement source de revenus mais aussi créateur d'emplois. Pour autant, peut-on dire que ces exportations massives demeurent une nécessité vitale ? Premièrement, à ce stade de développement, la Chine doit impérativement développer son marché domestique - un marché immense qui recèle un fort potentiel. Deuxièmement, l'avantage comparatif en facteur travail, s'il reste déterminant, est en train de se réduire du fait, d'une part, des hausses de salaires et de l'amélioration progressive des conditions de travail ; d'autre part, en raison de la disparition des gains de productivité liés aux migrations des campagnes vers les villes. Enfin, les exportations montent progressivement en gamme. La production industrielle chinoise devient de plus en plus sophistiquée grâce à l'intensification des efforts technologiques encouragée par les autorités. Au total, compte tenu de ces évolutions structurelles, le rôle quasi absolu des exportations dans la croissance chinoise devrait progressivement s'estomper. La Chine sera alors moins tentée d'utiliser son taux de change comme instrument de stimulation de l'économie. De plus, il faut souligner que le contenu en importations des exportations chinoises étant très important (avec la segmentation du processus de production entre les pays d'Asie), le poids réel des exportations dans le Produit intérieur brut n'est pas aussi élevé (17 %) qu'en apparence (40 %). La vérité, c'est que le marché intérieur compte déjà plus que les exportations. Y. M. - À quelles conditions le yuan sera-t-il, un jour, à sa « vraie valeur » ? P. A. et B. X. - Si l'on considère que la vraie valeur d'une monnaie est celle qui est déterminée par le marché, on en est encore loin pour le RMB. Aujourd'hui, le taux de change du yuan est déterminé par le marché intérieur. Il est donc relativement facile pour la Banque centrale de Chine de peser sur le cours de sa monnaie. Pour que le taux de change du RMB soit déterminé par le marché il faudrait donc rendre les capitaux parfaitement mobiles, ce qui impliquerait d'ouvrir tous les comptes de capital. Or, pour l'instant, la moitié d'entre eux sont fermés ou quasi fermés, notamment en ce qui concerne l'investissement de portefeuille. Une ouverture provoquerait une exposition aux flux d'entrée et de sortie de capitaux qui serait susceptible de nuire au système financier domestique si ce dernier n'était pas assez développé et solide. Telle est la situation actuelle de la Chine. La modernisation de son système bancaire et financier vient juste de commencer. Une fois que cette condition sera remplie, il faudra aussi que la croissance économique s'appuie davantage sur la demande domestique et qu'elle soit moins tributaire des exportations, ce qui implique une réorientation du mode de croissance. Y. M. - Comment, concrètement, les autorités chinoises pilotent-elles la valeur du yuan ? P. A. et B. X. - Ce pilotage s'exerce à travers un contrôle des capitaux destiné à surveiller la quantité de demande et d'offre de devises sur le marché de change. Ce marché est un marché interbancaire sur lequel interviennent les banques et certaines institutions financières non bancaires ainsi que des institutions non financières habilitées. Pour les opérations courantes, le RMB est convertible depuis 1996. Au niveau des opérations financières, seule une partie des opérations sont autorisées et soumises au contrôle. Il s'agit principalement des IDE (investissements directs à l'étranger). Le pilotage prend également la forme d'interventions de change visant à influencer le prix du marché. La situation excédentaire du solde courant et des comptes de capitaux pousse naturellement à l'appréciation du RMB. Les interventions de change consistent donc en achats de devises, le plus souvent des dollars. Ces achats alimentent les réserves de change qui sont ensuite principalement investies en bons du Trésor américain. D'un point de vue institutionnel, c'est la People's Bank of China (PBoC, la Banque centrale chinoise) qui détermine la politique de change, y compris la « cible » du taux de change du RMB. C'est elle aussi qui intervient sur le marché afin de maintenir le taux de change au niveau souhaité. Le contrôle des capitaux et la gestion des réserves de change sont, pour leur part, du ressort de la SAFE (State Administration of Foreign Exchange), une institution qui dépend de la PBoC puisque le vice-président de la PBoC est également le président de la SAFE. Quant à l'indépendance …
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