Entretien avec
Herman Van Rompuy, président permanent du Conseil européen depuis décembre 2009
par
Luc Rosenzweig
n° 130 - Hiver 2011
Entretien avec Herman Van Rompuy* europe : l'homme du consensus Cet entretien a été conduitpar Luc Rosenzweig** * Président permanent du Conseil européen depuis décembre 2009. ** Journaliste. Ancien correspondant du Monde en Allemagne et en Belgique. Auteur, entre autres publications, de : Ariel Sharon, Perrin, 2006 ; Parfaits Espions, Éditions du Rocher, 2007. En décembre 2009, Herman Van Rompuy a été nommé au poste nouvellement créé de président permanent du Conseil européen. On ne peut pas dire que la nouvelle ait suscité un grand enthousiasme ou, même, un grand intérêt dans les pays de l'UE et dans le monde. La notoriété de celui qui exerçait jusque-là la fonction de premier ministre de Belgique n'avait guère franchi les limites du royaume. Sans aller jusqu'aux sarcasmes déplacés du député européen britannique Nigel Farage qui attribuait à M. Van Rompuy le « charisme d'une serpillière humide », la plupart des observateurs considéraient ce choix comme un pis-aller. N'avait-on pas évoqué, pour occuper ce poste, des personnalités de dimension mondiale, dont Tony Blair ? L'arrivée au sommet des institutions européennes de cet homme discret jusqu'à l'excès a donc été interprétée comme un signe de la volonté des États membres de préserver leurs prérogatives, notamment en matière de diplomatie.Ce Flamand né à Bruxelles en 1947 a pourtant derrière lui une longue carrière politique dans son pays. Dès ses années d'étudiant en humanités classiques et économie à l'université catholique de Louvain, il s'engage dans les rangs du parti chrétien-démocrate flamand dont il devient, à la fin des années 1960, le président de la branche « jeunes ». Ce catholique traditionaliste, qui fait régulièrement des retraites spirituelles dans des monastères, gravit tous les échelons menant vers le pouvoir : membre de cabinets ministériels, député, ministre du Budget dans les gouvernements dirigés par Jean-Luc Dehaene de 1993 à 1999, président de la Chambre des députés (2007-2008) et, enfin, premier ministre en décembre 2008. Il accède à ce poste à la suite d'une crise gouvernementale née du sauvetage controversé de la banque Fortis par le premier ministre d'alors, Yves Leterme, lui aussi membre du parti chrétien-démocrate flamand. Aujourd'hui, M. Van Rompuy fait partie du « quatuor » désigné par le traité de Lisbonne pour donner un visage et une voix à l'Union européenne. Outre le président permanent du Conseil (nommé pour un mandat renouvelable de deux ans et demi), ce groupe se compose du président de la Commission (José Manuel Barroso) ; du Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (Catherine Ashton) ; et du représentant de la présidence tournante de l'UE assurée pour six mois par l'un des États membres (la Hongrie au premier semestre 2011). C'est à Politique Internationale que Herman Van Rompuy, à l'issue de la première année de son mandat, a choisi de donner son premier grand entretien de fond. L. R. Luc Rosenzweig - Monsieur Van Rompuy, vous avez pris vos fonctions le 1er janvier 2010. Quel bilan tirez-vous de votre première année au poste de président du Conseil européen ? Herman Van Rompuy - Je savais que ce serait une tâche difficile, ne serait-ce que parce que le poste venait d'être créé. Il n'empêche que j'étais prêt. Je m'étais particulièrement bien préparé aux questions économiques. J'estimais, en effet, que le manque de croissance structurelle était l'un des grands problèmes de l'Europe. C'est pourquoi j'ai tenu à lancer la « stratégie 2020 » (1) - une stratégie d'autant plus importante que celle qui l'avait précédée, la stratégie dite de Lisbonne (2), n'était pas considérée comme un succès. Bref, je m'étais préparé à un travail plutôt de long terme. Mais, dans les faits, mes projets ont été chamboulés au bout de quinze jours ! L. R. - Pour quelle raison ? H. V. R. - La crise grecque. Elle a éclaté alors que mon équipe et moi-même venions à peine d'arriver aux affaires. Nous sommes parvenus à la contrôler vers le début de l'été 2010 ; il y a eu une accalmie pendant les vacances estivales et même une partie de septembre... mais elle a rebondi à partir de la mi-octobre. C'est ainsi que toute la première année de mon mandat a été dominée par la perspective d'une crise globale de l'ensemble de la zone euro ! Résultat : nous avons principalement fait de la gestion de crise, au lieu de travailler sur des perspectives à long terme. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives quant à l'efficacité de notre action. L'Histoire jugera. J'espère, en tout cas, qu'on n'oubliera pas que nous avons entamé cette première année avec des handicaps majeurs... L. R. - Lesquels ? H. V. R. - J'en dénombre trois. Premier handicap : quand nous sommes arrivés aux affaires, le Pacte de stabilité et de croissance pour la politique budgétaire avait déjà été assoupli... mais il n'était pas respecté pour autant. Par surcroît, il n'existait aucun mécanisme permettant de surveiller les agrégats macro-économiques : comptes courants de la balance des paiements, évolution des salaires, compétitivité en général, bulles immobilières... Nous avons corrigé le tir avec le rapport de la Task Force (3). Deuxième handicap : il n'y avait pas de Fonds de soutien financier aux pays de la zone euro en difficulté. Nous avons donc dû inventer, « à chaud », ce mécanisme de sortie de crise pour la Grèce mais, aussi, pour les autres pays de la zone euro (4). Troisième handicap : le traité de Lisbonne prévoit qu'une décision du Conseil des ministres européens est nécessaire pour exiger d'un pays en état de déficit budgétaire excessif qu'il corrige la situation. Or, si l'on a besoin d'une décision politique, il n'y a pas d'automaticité... Pour remédier à tous ces problèmes, il a fallu créer de nouveaux instruments et renforcer le contrôle budgétaire. En règle générale, nous avons cherché à interpréter le traité de Lisbonne aussi strictement que possible, de façon à pouvoir prendre des sanctions contre les États trop laxistes. L. R. - Comment concevez-vous votre rôle ? Comme celui d'un …
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