Entretien avec
Michel Kazatchkine
par
Henry Lauret, Éditorialiste
n° 130 - Hiver 2011
Henry Lauret - La mission confiée au Fonds mondial était d'accélérer l'accès aux traitements pour le sida, la tuberculose et le paludisme. Près de dix ans après, les objectifs sont-ils remplis ? Michel Kazatchkine - Avec le recul, on peut dire que la création du Fonds a marqué un virage historique dans la prise en compte des problématiques de santé mondiale et dans la coopération internationale. Ce grand dessein a offert une voie toute tracée aux dirigeants politiques pour mobiliser et transférer l'aide aux pays en développement. D'emblée - et c'est un élément clé de cette réussite - le dialogue s'est noué entre l'ensemble des acteurs : le secteur public, le secteur privé, la société civile, les organisations multilatérales, etc. Revenons en arrière. Lorsqu'en 2001 Kofi Annan a milité pour la création d'un fonds, il appelait en fait à la constitution d'un « trésor de guerre » pour lutter contre le sida. Il s'agissait de répondre à la préoccupation d'une opinion publique internationale choquée par l'inégalité d'accès au traitement entre le Nord et le Sud. C'est à la conférence internationale sur le sida de Durban que le monde a pris conscience de la nécessité et de l'urgence, après avoir constaté que le système en place ne permettait pas de relever ces défis. Dans la deuxième moitié de 2001, lorsque toutes les délégations se sont réunies à Bruxelles pour répondre à la résolution de l'assemblée générale de l'ONU de juin et élaborer la maquette du Fonds, nous sommes arrivés à un consensus pour cibler les trois maladies tueuses. Bien que le sida ait été le déclencheur, les concepteurs du Fonds ont tout de suite envisagé d'élargir son action contre des maladies qui faisaient plus de 6 millions de victimes par an. Pour la santé et pour la réduction des inégalités entre le Nord et le Sud, 2001 fut une année charnière. Et cela, grâce justement au ciblage des trois maladies et à la mise en oeuvre de la grande alliance public/privé. Cela me permet déjà de dire que nous sommes en ligne avec les objectifs de départ. H. L. - Les résultats sont-ils, eux aussi, conformes aux espérances ? M. K. - Ils sont exceptionnels ! Songez qu'en 2001 pratiquement aucune personne dans les pays en développement n'avait accès au traitement anti-sida, exception faite du Brésil où l'on dénombrait 150 000 des 200 000 patients sous traitement. Aujourd'hui, plus de 5,2 millions de personnes sont recensées sous traitement, soit 35 à 40 % de la couverture estimée des besoins urgents. La mortalité a reculé de plus de 20 % au cours des quatre dernières années. Derrière la sécheresse des chiffres, il y a toujours les réalités humaines. Le Fonds finance aussi la prévention. Les résultats, là encore, sont très encourageants : le nombre de nouvelles infections a baissé de 25 % en Afrique. Et il recule chez les jeunes. S'agissant du paludisme, je rappelle que c'était une maladie totalement négligée en 2001, qu'il n'y avait pas d'accès aux moustiquaires imprégnées d'insecticides pour l'immense majorité des populations concernées. Le Fonds, depuis lors, a distribué plus de 160 millions de moustiquaires. La communauté internationale, plus de 220 millions. Bon an mal an, nous voici proches de 70 % de l'objectif de couverture universelle. Dans les 18 mois, je veux croire qu'on y parviendra à 100 %. Le volet traitement est tout aussi encourageant : la mortalité des enfants de moins de 4 ans a baissé de 40 à 70 % au cours des dernières années. À propos de la tuberculose, il faut savoir que l'action du Fonds mondial a permis de diagnostiquer et de traiter près de 8 millions de cas au cours des six dernières années, avec un taux de 85/90 % de chances de succès. La tuberculose multirésistante est source de difficultés. En matière de tuberculose « conventionnelle », j'ai bon espoir qu'on atteindra en 2015 les objectifs fixés par la communauté internationale. H. L. - Il y a les chiffres, qui parlent d'eux-mêmes, et puis il y a aussi une prise de conscience à l'échelle planétaire... M. K. - Vous avez raison de mentionner que ce volet du rapport d'étape que nous faisons ensemble, et qui touche à la prise de conscience internationale, est tout aussi important ! Concrètement, le Fonds a déjà déboursé de l'ordre de 11 milliards de dollars et nous estimons que son action a permis de sauver 7 millions de vie. Nous pensons aujourd'hui que la mobilisation permet d'épargner 4 500 vies par jour ! Dont 6 sur 10 en Afrique. La satisfaction vient, en effet, de ce que la création du Fonds a permis de faire comprendre qu'il fallait changer complètement de paradigme en matière de santé publique. Autrefois, on avait tendance à considérer la santé comme une conséquence du développement. Or la crise du sida a montré qu'on ne peut accéder au développement si l'on néglige les questions de santé. En d'autres termes, la santé est un vecteur du développement et non une conséquence : cette prise de conscience est d'une extrême importance ! Pour le dire autrement, quand le G 8 engage des milliards dans la santé, ce n'est pas une décision à vocation seulement humanitaire, mais une action utile à la fois au développement et à la sécurité. Pour beaucoup, il s'agit là d'une révolution des esprits. H. L. - Au cours des dix dernières années, la mobilisation politique et financière autour des « maladies tueuses » a été forte. Aujourd'hui, l'attention des donateurs se tourne vers d'autres problématiques de santé et de développement, dont le changement climatique. Comment gérer cette évolution, surtout dans un contexte de crise économique ? M. K. - Il est tout à fait exact qu'il y a d'autres priorités qui s'imposent désormais dans le paysage. Mais la dernière chose que nous souhaiterions, c'est de voir la santé être opposée au changement climatique ou le sida opposé à d'autres fléaux telle la mortalité maternelle ! Quels sont les arguments que je développe ? D'abord, je l'ai dit, les …
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