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BUDAPEST-UNION EUROPEENNE : LE TEMPS DES MALENTENDUS

Entretien avec Janos Martonyi par Luc Rosenzweig

n° 131 - Printemps 2011

Janos Martonyi Luc Rosenzweig - Monsieur le Ministre, en raison de votre expérience et de votre âge, vous faites figure, au sein du gouvernement de coalition dirigé par Viktor Orban, de « vétéran ». Pouvez-vous nous exposer brièvement votre philosophie politique ?
János Martonyi - Pour faire bref, disons que je suis partisan d'une politique fondée sur des valeurs. Dans mon domaine de compétence - la politique étrangère -, cela signifie qu'au-delà de la realpolitik éphémère et changeante je m'efforce de défendre à la fois les intérêts nationaux hongrois et les valeurs universelles : l'état de droit, les principes constitutionnels, les normes démocratiques, les droits de l'homme, y compris la défense des droits des minorités. Ce n'est pas une affaire de génération : mes collègues plus jeunes partagent mes convictions.
L. R. - La domination au Parlement de la coalition conduite par le Fidesz est écrasante. Vous disposez de la majorité des deux tiers permettant de modifier à votre gré la Constitution. Vos opposants et certains observateurs étrangers craignent une dérive autoritaire de la démocratie hongroise. Que leur répondez-vous ? Quelle est votre réaction lorsque le député européen Daniel Cohn-Bendit compare Viktor Orban à Hugo Chavez ?
J. M. - Notre majorité n'est pas « écrasante » ; elle résulte simplement du jeu démocratique et de la volonté des électeurs. J'ajoute que la montée des partis chrétiens conservateurs n'est pas un phénomène uniquement hongrois ; c'est une tendance de fond que l'on observe dans la plupart des pays européens. Quant au reproche qui nous est adressé d'avoir adopté une nouvelle Constitution (1) à notre seul profit, il est dénué de tout fondement. Cette Constitution a été élaborée au sein d'une commission ad hoc comprenant des juristes dignes de confiance, reconnus par leurs pairs dans toute l'Europe, et pas seulement des politiciens du Fidesz. Outre ces experts en droit constitutionnel, les citoyens ont pu exprimer leur opinion sur ce projet en remplissant le questionnaire qui a été adressé à tous les foyers du pays. Plus de 900 000 documents ont été retournés, et nous avons naturellement tenu compte des avis exprimés. Notre intérêt commun est de doter la Hongrie d'une Constitution consensuelle qui satisfasse le plus grand nombre. Quant à la comparaison entre Viktor Orban et Hugo Chavez, vous comprendrez que je ne sois pas très désireux de la commenter, même pour Politique Internationale ! Je ne tiens à porter un jugement ni sur la personne ni sur les propos de M. Cohn-Bendit...
L. R. - Le vote d'une loi contraignante sur la presse (2) a provoqué de vives réactions à l'étranger et déclenché une polémique au sein des institutions européennes lorsque la Hongrie a pris la présidence du Conseil européen le 1er janvier dernier. D'abord, pourquoi cette loi ?
J. M. - L'ancienne loi sur les médias avait été adoptée il y a quinze ans, dans une période encore toute proche de la chute du mur de Berlin. Elle était dépassée et il fallait la remplacer. Cette nouvelle loi prend en compte l'évolution technologique et sociale de ce secteur et se propose de créer un cadre juridique moderne pour réguler le nouveau marché des médias. Elle transpose également dans la législation hongroise la réglementation et les directives de l'Union européenne.
Contrairement à ce que l'on a prétendu, cette loi n'est pas « contraignante » ; elle protège le journalisme d'investigation : désormais, nul ne pourra poursuivre pénalement un journaliste qui commettrait une infraction dans le cadre d'une enquête visant à établir la réalité de comportements délictueux si son but est d'éclairer le public et de servir l'intérêt général. La loi défend également la liberté des rédacteurs face aux pressions des propriétaires de médias, des publicitaires ou des sponsors.
Vingt ans après la chute du communisme, la Hongrie souhaite créer des médias audiovisuels publics de qualité, qui transmettent des valeurs et produisent des émissions destinées à une large audience...
L. R. - À la suite de discussions avec la commissaire européenne Nelly Kroes, certaines dispositions de cette loi ont été modifiées, notamment l'obligation faite à tous les médias de procéder à un « traitement équilibré » de l'actualité politique. Le regrettez-vous ?
J. M. - Nelly Kroes était présente sur les bancs du Parlement lorsque cette modification a été votée. Elle s'est publiquement réjouie du comportement du gouvernement, a exprimé sa confiance en l'avenir et s'est dite rassurée quant à l'esprit dans lequel cette loi allait être appliquée. La Hongrie est un pays qui dispose désormais d'une loi sur les médias conforme aux valeurs et aux règles juridiques de l'UE. Je ne peux que m'en féliciter.
L. R. - Le retour au pouvoir de la droite en avril 2010 a été le résultat du désaveu infligé par l'électorat au gouvernement précédent. En 2007, ce gouvernement, dominé par les sociaux-démocrates, avait mené le pays à deux doigts de la faillite et contraint la Hongrie à faire appel au FMI et à l'UE. Est-il l'unique responsable ? La crise économique mondiale n'a-t-elle pas également joué un rôle néfaste ?
J. M. - La crise mondiale est l'un des éléments qui a conduit la Hongrie au bord du gouffre, mais pas le seul. Les socialistes ont mal réagi en mettant en oeuvre une politique économique et financière totalement inadaptée aux nouveaux défis. Après leur départ, on a découvert que certains membres du gouvernement avaient été impliqués dans des affaires de corruption. Tout cela ne pouvait rester sans conséquences, pour des raisons à la fois pratiques et morales. Aux yeux des électeurs, il était évident qu'il fallait changer de cap.
L. R. - Comment et dans quels délais votre gouvernement envisage-t-il de remettre l'économie hongroise sur les rails ?
J. M. - La première des priorités est la réduction de la dette de l'État. Pour le reste, nous avons établi un calendrier : 2011 sera l'année du renouveau : nous réorganisons la Hongrie et la dotons de nouveaux fondements constitutionnels. L'année 2012 sera celle du sursaut, au cours de laquelle notre pays retrouvera son équilibre économique. 2013 …