Les Grands de ce monde s'expriment dans

DIPLOMATIE FRANCAISE : LA CONFIANCE RETROUVEE

Entretien avec Alain Juppé, Ancien ministre des Affaires étrangères et européennes. Ancien ministre de la Défense par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris

n° 131 - Printemps 2011

Alain Juppé Baudouin Bollaert - Le Quai d'Orsay est un ministère que vous connaissez bien et que vous aimez. Dans quel état l'avez-vous trouvé en acceptant de succéder à Michèle Alliot-Marie ? Alain Juppé - C'est vrai, j'ai conservé un souvenir marquant de mon premier passage au Quai d'Orsay, même si l'actualité internationale de l'époque, dominée par la guerre dans les Balkans, donnait peu d'occasions de se réjouir. J'apprécie de travailler avec nos diplomates, qui accomplissent avec passion une tâche difficile, méconnue et indispensable. Il est toujours gratifiant d'essayer de faire avancer la cause de la paix et de la démocratie, et de contribuer au rayonnement de la France. Je ne reviens pas au Quai d'Orsay avec un esprit nostalgique, mais avec la volonté d'agir dans un monde dont nous voyons chaque jour davantage qu'il demeure imprévisible. Comme j'avais eu l'occasion de le souligner au mois de juillet dernier dans une tribune cosignée avec Hubert Védrine, notre diplomatie souffre depuis plusieurs années d'une réduction drastique et régulière de ses moyens d'action - et cela, au détriment de notre influence internationale. C'est pourquoi notre diplomatie, l'une des premières du monde, doit retrouver confiance en elle-même et doit disposer de moyens suffisants. J'y veillerai. B. B. - Quels sont les hommes d'État - morts et vivants - dont vous vous sentez le plus proche par les convictions ? Ceux, éventuellement, dont l'exemple vous inspire ? A. J. - Montesquieu, pour son esprit de modération, mais aussi pour sa réflexion sur l'organisation des pouvoirs. Et puis, bien sûr, le général de Gaulle, pour l'idée de la France qu'il a portée dans les jours les plus noirs de notre Histoire, pour sa vision d'une République juste et efficace, pour son sens de l'intérêt général, allié à une formidable capacité politique - ce qu'on appellerait aujourd'hui le « leadership ». J'ajouterai Nelson Mandela qui, imperméable à toute rancune, a su faire souffler sur son pays l'esprit de réconciliation. B. B. - À quelle personnalité non française donneriez-vous, aujourd'hui, le prix du courage politique ? A. J. - J'ai été très impressionné par le courage et la maturité des jeunes Égyptiens que j'ai longuement rencontrés sur la place Tahrir. Mais si je devais remettre le prix du courage politique, c'est à tous ceux, connus ou inconnus, qui luttent pour la paix et la démocratie, parfois au péril de leur vie, que je l'accorderais. Parce qu'ils nous apprennent chaque jour la valeur du bulletin de vote que nous avons, nous, le droit de glisser librement dans l'urne. Ne l'oublions jamais. B. B. - Que pensez-vous du drame qui frappe le Japon ? A. J. - Le peuple japonais, par son calme et sa détermination face à l'adversité, vient de donner une leçon au monde entier. Quand je vois son courage et sa ténacité, je suis convaincu que le Japon se relèvera. Nous serons, pour notre part, aux côtés de ce pays ami. La France a mobilisé des moyens importants pour aider la population et le gouvernement japonais. Nous continuerons dans les semaines qui viennent, en fonction des besoins qu'ils exprimeront. B. B. - Quels sentiments vous inspire le « printemps arabe » ? A. J. - Un grand optimisme, d'abord, en voyant des peuples avoir le courage de défendre les valeurs universelles de démocratie, de liberté et de dignité. La confiance, ensuite. Il faut le reconnaître : nous avons longtemps été prisonniers d'une vision simplificatrice, reposant sur l'idée que la dictature était le seul rempart contre l'extrémisme dans cette région du monde. Nous avions tort. Les Tunisiens l'ont montré avec la révolution du Jasmin. Leur voisin égyptien leur a emboîté le pas, dans un même élan d'enthousiasme, de courage et d'espoir. Chaque pays a ses spécificités mais, dans tous ces pays, les mêmes causes ont produit les mêmes effets : les pouvoirs usés cèdent face à une jeunesse responsable et bien formée, connectée au monde via Internet et sûre de son droit. B. B. - Ce « printemps arabe » est-il, selon vous, un phénomène régional ou, à l'inverse, l'étape d'un processus mondial de démocratisation ? A. J. - Tous les pays ne peuvent être rangés dans une même catégorie. Chacun des peuples concernés est en train d'écrire sa propre histoire. Ce qui est sûr, c'est que, grâce aux nouvelles technologies de communication, ces révolutions ont un impact qui dépasse largement les frontières du monde arabe. Un changement est indéniablement en cours, qui peut être une chance pour tous. B. B. - Comment expliquez-vous que les dirigeants et les intellectuels occidentaux n'aient pas prévu l'éclatement de ces révolutions ? A. J. - Je ne connais aucune chancellerie, aucune agence de renseignement, aucun think-tank, européen ou américain, qui ait prédit ces événements par nature imprévisibles. Sans doute avons-nous eu tendance à privilégier la recherche de la stabilité par rapport à celle de la démocratie. Mais l'important, aujourd'hui, c'est d'avoir une ligne d'action claire et déterminée pour aider et accompagner les mouvements démocratiques. C'est la position de la France qui a été, chacun a pu le constater, à la pointe de l'action internationale pour protéger la population libyenne et soutenir son aspiration à vivre libre. B. B. - Que fera la France si ceux qui ont abattu des dictatures sont privés de leur victoire ? A. J. - Il appartient aux peuples d'inventer des formes de démocratie compatibles avec leur histoire et leur identité. En Libye, c'est pour protéger la population civile libyenne contre laquelle Kadhafi n'a pas hésité à retourner ses armes de guerre que la communauté internationale a décidé d'intervenir. Il s'agissait d'éviter un massacre. Ailleurs, en Tunisie ou en Égypte, les transitions démocratiques, aussi difficiles et heurtées qu'elles soient, laissent présager un élargissement sans précédent de la participation démocratique et des espaces de liberté. La France apportera son soutien à ces forces nouvelles, sans se substituer au choix des peuples eux-mêmes. B. B. - La France reconnaît les États, pas les gouvernements... Pourrait-elle changer d'attitude à la faveur des événements en Libye, par exemple ? A. J. - …