Entretien avec
Liam Fox, Ministre britannique de la Défense depuis 2010.
par
Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro
n° 131 - Printemps 2011
Isabelle Lasserre - Monsieur Fox, vous êtes considéré comme le plus eurosceptique d'entre les eurosceptiques britanniques. Pourtant, c'est votre gouvernement qui a signé l'accord de défense franco-britannique en novembre dernier. Pourquoi ? Liam Fox - Tout dépend de ce qu'on entend par « eurosceptique ». Ce que nous demandons, c'est que les relations de défense soient bilatérales, qu'elles soient organisées de gouvernement à gouvernement. Je n'ai rien contre la coopération en matière de défense en Europe. Je voudrais même qu'elle se développe ! Seulement, en Grande-Bretagne, nous ne voulons pas voir ces questions tomber sous les auspices de Bruxelles et de la bureaucratie européenne. Paradoxalement, je pense qu'un champion de l'Union européenne n'aurait pas pu « vendre » ce deal aux partis conservateurs. À l'inverse, il me fut assez facile, à moi, de le défendre devant le Parlement. J'étais, en effet, étiqueté comme un « eurosceptique ». Dès lors, on pouvait difficilement me soupçonner d'avoir un parti pris en faveur d'un renforcement de la collaboration de mon pays avec un autre pays de l'UE. J'ai expliqué pourquoi j'étais favorable à une plus grande coopération avec notre principal partenaire européen, notre principal allié en Europe. J'ai insisté sur le fait que cet accord était passé entre un gouvernement souverain et un autre gouvernement souverain, que nous prendrions les décisions ensemble et au même moment, et que l'accord ne serait pas placé sous le patronage de l'Union européenne. Bref, j'ai bien fait comprendre que nous n'abandonnerions aucune parcelle de souveraineté à l'UE. I. L. - Certains considèrent que cet accord est en train de tuer la défense européenne ; d'autres estiment, au contraire, qu'il pourrait la sauver. Quelle est votre opinion ? L. F. - Je vois les choses de manière très pragmatique. J'ai été accusé par un autre ministre de la Défense d'essayer de « bilatéraliser » les relations de défense et, donc, d'affaiblir l'Europe. Mais, à l'intérieur de l'Otan, le Royaume-Uni a toujours entretenu une très forte relation avec les États-Unis et personne n'a jamais suggéré que cette proximité risquerait d'affaiblir l'Alliance atlantique ! Pourquoi une relation bilatérale renforcée entre la Grande-Bretagne et la France affaiblirait-elle nécessairement l'Otan ou l'Union européenne ? Pour tout vous dire, le Royaume-Uni s'irrite des critiques émanant de pays qui ne remplissent pas leurs propres obligations en matière de défense, refusent de déployer des forces... mais se permettent de donner des leçons à Paris et à Londres et voudraient leur dicter la manière d'agir dans ce domaine ! Dois-je rappeler que, ensemble, nos deux pays concentrent plus de 50 % des dépenses et 65 % des budgets de recherche dans le domaine de la défense de l'Europe continentale ? Alors, si d'autres pays ont envie de participer à cet effort au même niveau que nous, qu'ils se penchent sur leurs budgets de défense, sur la taille de leurs forces armées et sur leur volonté politique de déployer ces forces armées ! I. L. - Comment expliquez-vous ce désintérêt relatif des autres pays européens pour les affaires de défense ? L. F. - En tout cas, ce qui a rendu possible le rapprochement entre Londres et Paris, c'est le fait que nous partageons la même analyse stratégique du monde. Nous savons tous deux que nous évoluons dans une économie mondiale complexe et interdépendante, et que ce qui se passe dans un endroit peut très vite rebondir, comme un ricochet, ailleurs sur la planète. Nous partageons également une vision similaire des problèmes de sécurité. Dans ce monde où les risques et les menaces sont multipolaires, il faut inventer une approche beaucoup plus flexible des questions de sécurité. Concrètement, nous devons pouvoir agir seuls sur certains dossiers relevant de nos intérêts nationaux. Mais il nous faut, aussi, savoir agir de façon bilatérale dans d'autres domaines, par exemple avec les États-Unis ou avec la France. Et, dans certains cas, il ne faut pas s'interdire d'agir collectivement, au sein d'ensembles constitués comme l'Union européenne ou l'Otan. Ce que nous voulons, en Grande-Bretagne, c'est créer un appareil multilatéral de sécurité qui nous permettra de répondre de manière appropriée aux différentes menaces. Les événements de ces dernières années nous ont appris que si l'on essaye d'obtenir l'unanimité au sein d'énormes organisations multilatérales, on peut attendre longtemps et perdre beaucoup de temps ! Ce qui est important, ce n'est pas seulement d'avoir des outils, c'est-à-dire des capacités militaires et de l'équipement. De nombreux pays en Europe possèdent de tels outils - je pense, en particulier, à l'Allemagne -, mais leur système politique rend leur déploiement très difficile. La Grande-Bretagne et la France ont des procédures beaucoup plus simples et sont capables de mettre en pratique leur volonté beaucoup plus rapidement que les autres. I. L. - Dans certains domaines, l'accord franco-britannique n'existe encore que sur le papier. De quoi son succès dépendra-t-il ? L. F. - De notre capacité à renforcer notre entente militaire. Nous avons encore de vraies différences en matière de doctrine, notamment dans la manière de conduire les opérations de logistique sur le terrain. Nous devons donc accroître notre interopérabilité. Concrètement, il faudra rationaliser nos achats et notre politique de développement en fonction de nos contraintes budgétaires respectives. Il faudra mettre sur la table les aspects industriels. Il faudra reconnaître la nécessité d'avoir des armées respectées qui puissent disposer de ce dont elles ont besoin au moment où elles en ont besoin... et à un coût raisonnable ! Il faut absolument s'assurer que nos armées seront correctement équipées pour les tâches qu'on leur demandera d'accomplir. Ouvrir les marchés, rapprocher les doctrines et effectuer des entraînements communs : ce sont les principaux domaines dans lesquels il faudra faire des progrès pour que l'accord se matérialise. I. L. - L'intervention de la coalition en Libye, initiée par la Grande-Bretagne et la France, est-elle un exemple de cette nouvelle coopération franco-britannique ? L. F. - Oui. Comme je vous l'ai dit, le Royaume-Uni et la France partagent des intérêts stratégiques. Nos politiques étrangères et de défense sont fondées sur des intérêts communs, des …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
Historiques de commandes
Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés