Entretien avec
Andreï Soldatov
par
Galia Ackerman, journaliste, spécialiste de la Russie et du monde post-soviétique
n° 131 - Printemps 2011
Galia Ackerman - Depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, en 1999, le FSB - Service fédéral de sécurité, l'héritier principal du KGB soviétique - reprend du poil de la bête. Quelles sont ses fonctions aujourd'hui ? Andreï Soldatov - Le FSB tient à la fois de l'ancien KGB et des services secrets de nombreux pays du Proche-Orient. Comme dans la Syrie d'Assad ou l'Égypte de Moubarak, il s'agit d'une agence de contre-espionnage et d'une police secrète. Garant de la stabilité politique du régime, le FSB a pour fonction de lutter « contre le terrorisme et l'extrémisme » - c'est-à-dire, en termes clairs, contre tous ceux qui pourraient défier le régime ; de surveiller l'opposition politique ; de garder les frontières ; et, même, de gérer une partie des activités de renseignement, à côté des agences qui en sont spécifiquement chargées, comme la Direction du renseignement militaire (GRU) et le Service de renseignement extérieur (SVR). G. A. - Quelle est la principale différence entre le FSB et le KGB ? A. S. - L'omniprésent KGB surveillait la vie de chaque citoyen. Le FSB, lui, agit d'une façon plus sélective ; mais il a aussi acquis certaines caractéristiques assez sinistres qui n'ont jamais été celles du KGB. En effet, le KGB n'avait pas été confronté à la menace du terrorisme. C'est une chose de démasquer des espions susceptibles de causer un préjudice économique ou militaire au pays ; c'en est une autre de prévenir un acte terroriste ! Voilà pourquoi les services secrets russes considèrent, aujourd'hui, que tous les moyens sont bons, surtout dans le Caucase du Nord. Ils agissent dans l'urgence, souvent hors de tout cadre légal, et avec une grande cruauté. G. A. - Hormis le FSB, quels sont les autres services secrets russes, et quelles sont leurs fonctions respectives ? A. S. - Le premier président de la Russie post-communiste, Boris Eltsine, a préservé la division soviétique des services de renseignement extérieur, dont les attributions étaient réparties entre deux entités : le GRU (Direction du renseignement militaire) et le SVR (Service du renseignement extérieur). Le FSO (service fédéral de protection) assure la sécurité des hauts fonctionnaires fédéraux et régionaux ainsi que des membres du gouvernement ; mais le FSB empiète sur ses plates-bandes. Il existe également des structures obscures dont on ne sait pas grand-chose - par exemple, le GUSP (direction d'État des programmes spéciaux), qui fait partie de l'administration présidentielle. Sa fonction est d'assurer la sécurité des bunkers souterrains et des tunnels construits à l'époque soviétique. Il s'agit d'un métro secret et d'un réseau de communications, d'abris et d'entrepôts. Ces installations doivent servir aux élites gouvernantes en cas de guerre conventionnelle ou nucléaire. Le GUSP est chargé d'entretenir et d'élargir cet espace souterrain. On ne sait pas si ce service est réellement indépendant car, depuis des années, il est dirigé par un ancien général du FSB. G. A. - J'ai appris en vous lisant qu'il existait une « réserve active » au FSB : il s'agit de gens qui ont formellement démissionné ou qui ont pris leur retraite du FSB mais qui continuent, en réalité, à travailler pour cet organisme. Le FSB a donc la possibilité d'infiltrer n'importe quel service d'État et n'importe quelle société privée. Quel est le niveau de cette pénétration ? A. S. - Précisons que ce n'est pas nouveau. En réalité, il s'agit d'une pratique héritée de l'époque soviétique. Dans les années 1990, le FSB a été chargé de la protection des intérêts économiques de la Russie. Pour remplir cette fonction extrêmement floue, les officiers ont commencé à pénétrer des organismes d'État, des corporations, des banques. C'était d'autant plus facile que les corporations elles-mêmes étaient désireuses d'embaucher les anciens du FSB ! En effet, compter ces hommes parmi leurs collaborateurs leur permettait d'obtenir plus facilement des informations précieuses voire, dans certains cas, d'utiliser le FSB pour devancer ou détruire leurs rivaux. Dans les années 2000, Vladimir Poutine - lui-même ancien du KGB et du FSB, comme chacun sait - a donné une nouvelle impulsion à ce système de pénétration. Il a nommé certains anciens collègues (souvent originaires, comme lui, de Saint-Pétersbourg) à différents postes de responsabilité au sein de l'appareil d'État. Par la suite, ces ex-agents ont rapidement recruté d'autres anciens du FSB... Il faut cependant souligner que Poutine a généralement installé ces vétérans des services secrets non pas à la tête des administrations, mais aux postes immédiatement subalternes, peut-être dans un souci de discrétion. Si on prend un ministère quelconque, le tableau typique est celui-ci : le ministre et le premier vice-ministre sont des civils, mais le chef de l'appareil, différents vice-ministres et chefs de service sont, eux, issus des services secrets. G. A. - À l'époque soviétique, le KGB ne faisait rien s'il n'avait pas reçu, au préalable, un ordre émanant du Politburo. Sans l'aval du Parti, il ne pouvait même pas effectuer une perquisition chez un dissident, encore moins l'arrêter. Et les actions du KGB avaient toujours une motivation idéologique. Aujourd'hui, on a l'impression que le FSB est bien plus indépendant et que ses motifs sont plus flous. Possède-t-il une idéologie qui lui soit propre ? Au service de qui et de quoi le FSB se trouve-t-il aujourd'hui ? A. S. - À l'époque soviétique, chaque département du KGB disposait de sa propre cellule du Parti communiste : tous les agents de ce service étaient encartés et respectaient la discipline du Parti. Le contrôle exercé par le PCUS permettait d'endiguer la corruption au sein du KGB et, en même temps, de surveiller de près ses activités. Préoccupée par sa propre sécurité, la direction du Parti - qui se souvenait trop bien de l'époque de Staline (1) - voulait absolument conserver la mainmise sur le KGB. Même à l'époque de gloire du KGB, quand Iouri Andropov (lui-même ancien chef du KGB) se trouvait à la tête de l'URSS, c'était le Parti qui prenait les décisions politiques. Le Service n'avait même pas le droit de présenter à la direction du Parti des …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
Historiques de commandes
Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés