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EGYPTE : UNE REVOLUTION CONFISQUEE ?

La manière dont la révolution égyptienne évoluera dans les prochains mois et les prochaines années aura une grande influence sur les autres régimes arabes, qui ont tous connu à des degrés divers des mouvements de révolte dans la première moitié de l'année 2011. Forte de ses 82 millions d'habitants (1), l'Égypte pèse, en effet, d'un poids énorme sur les équilibres régionaux. Une trajectoire démocratique - avec élections libres, reconnaissance des libertés fondamentales, lutte contre la corruption, tolérance religieuse et recentrage de l'armée vers le coeur de sa mission - compliquerait le maintien au pouvoir de régimes arabes dictatoriaux. À l'inverse, un échec du Conseil supérieur des forces armées (2) dans l'exercice de la transition et un retour progressif à la politique qui a conduit à la chute du président Moubarak pourraient geler les politiques de réforme qui ont été amorcées, voire encourager les gouvernements les plus autoritaires à poursuivre la voie de la répression sanglante. Quitte à favoriser une deuxième vague révolutionnaire dans un avenir proche. Soumises à la double pression de la démographie et de la technologie, les sociétés arabes sont engagées dans une nouvelle ère moins favorable aux tyrans. En quelques mois, cependant, l'enthousiasme est retombé en Égypte : les jeux politiques restent troubles, les extrémistes s'affichent ouvertement, manipulés par les tenants de l'ancien régime, les violences religieuses se multiplient et l'économie stagne. L'esprit démocratique de la révolution du Nil pourra-t-il survivre à 2011 ? Le lien armée-nation pendant la période révolutionnaire Lorsqu'on compare le comportement de l'armée égyptienne à celui de l'armée syrienne (3) ou libyenne face aux soulèvements populaires qui ont secoué leurs pays respectifs, on ne peut manquer d'être frappé par la souplesse tactique dont elle a fait preuve, qui contraste avec la brutalité répressive des deux autres. En Syrie et en Libye, l'armée tire sur le peuple sans états d'âme, y compris lors des enterrements, avançant des arguments de circonstance qui ne convainquent personne (4). Sans grande imagination, sont tour à tour dénoncés l'« insurrection armée » (5), le « complot de l'étranger » (6) ou encore le « rôle d'Al-Qaïda » (7). Au contraire, l'armée égyptienne, comme avant elle l'armée tunisienne, s'est efforcée de ne pas rompre le lien avec les manifestants. Elle a évité le bain de sang et pris très vite ses distances avec une police honnie (8). Ses tanks ont même été perçus par les insurgés comme des protections utiles sur la place Tahrir. Surtout, c'est elle qui a fait basculer le pouvoir en acceptant dès le 11 février, quinze jours seulement après le début des rassemblements, la principale revendication des manifestants : le départ d'Hosni Moubarak. Celui-ci avait certes affiché des visées dynastiques qui déplaisaient aux militaires, en propulsant son fils Gamal sur la scène politique comme successeur potentiel (9), mais il était l'un d'entre eux ; et, début février, personne ne pariait encore sur son départ forcé. Un mois plus tard, alors que l'armée avait compris qu'elle ne pourrait pas faire l'économie de son éviction et qu'il avait …