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ESTONIE : L'EURO POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE

Dans le carrousel des premiers ministres qui ont marqué la vie politique des républiques baltes depuis leur retour à l'indépendance il y a deux décennies, l'Estonien Andrus Ansip fait figure d'exception et prouve qu'une certaine stabilité est possible. Huitième homme à prendre la tête du gouvernement depuis août 1991, dans une république parlementaire où le premier ministre jouit de prérogatives nettement plus larges que le président de la République, il a franchi, le 12 avril 2011, le cap des six années au pouvoir. Cinq semaines plus tôt, la coalition gouvernementale de droite sortait renforcée des élections législatives. En ce 6 mars, le Parti de la réforme (libéral) de M. Ansip obtenait 28,6 % des voix (33 sièges sur 101), alors que l'Union Pro Patria et Res Publica (conservatrice), dirigée par l'ancien premier ministre Mart Laar, en recueillait 20,5 % (23 sièges). Et pourtant, ces deux partis, alliés depuis mars 2007, venaient d'administrer une cure d'austérité sévère à ce pays de 1,34 million d'habitants, durement frappé par la crise de 2008. Il n'empêche : pour une majorité d'électeurs estoniens, l'équipe sortante était garante d'une certaine stabilité face à une opposition centriste jugée moins crédible et plus proche de la Russie. La présence dans cette ex-république soviétique d'une minorité russophone importante (29 % de la population) continue, en effet, à influer sur le débat politique... Né le 1er octobre 1956 à Tartu, la deuxième ville du pays, M. Ansip a bien connu la période de l'occupation soviétique. Dans sa jeunesse, il a adhéré au Parti communiste estonien et travaillé dans sa branche locale de Tartu, comme instructeur puis comme chef du département « Organisation ». Certains de ses adversaires politiques le lui rappellent de temps à autre, sans que cela nuise à son crédit. Le fait est qu'au fil des années 1980 une part croissante des membres du PC estonien oeuvrait en faveur d'un retour à l'indépendance du pays, annexé par l'Union soviétique de Joseph Staline après l'arrivée de l'Armée rouge durant la Seconde Guerre mondiale. Chimiste de formation, M. Ansip s'est lancé dans le commerce et la banque après le démantèlement de l'URSS. En 1998, à quarante-deux ans, il est élu maire de sa ville de Tartu (100 000 habitants) sous les couleurs du Parti de la réforme, poste qui lui vaut une forte popularité. En septembre 2004, c'est le saut dans la politique nationale : il est nommé ministre de l'Économie dans la coalition gouvernementale emmenée par Juhan Parts (avril 2003-mars 2005). Deux mois plus tard, il prend la présidence du Parti de la réforme, à la faveur du départ pour Bruxelles du titulaire, l'ex-premier ministre Siim Kallas (janvier 2002-avril 2003), qui devient membre de la Commission européenne. Car entre-temps, au printemps de cette année-là, l'Estonie a réussi le doublé : adhésions à l'Union européenne et à l'Otan. La démission, en mars 2005, du gouvernement Parts à la suite d'une « affaire » incite le président de la République de l'époque à confier à M. Ansip la mission de former un nouveau cabinet. Depuis, celui-ci a fait preuve d'une certaine habileté politique, y compris à la tête d'une coalition minoritaire au Riigikogu, le parlement estonien (2009-2011). Sa décision la plus controversée concerne le déplacement, en avril 2007, d'une statue d'un soldat de l'Armée rouge de son site habituel vers un cimetière excentré de Tallinn. La manoeuvre, jugée insultante par les russophones, fut exploitée par Moscou pour dénoncer les « atteintes » aux droits de cette minorité. Elle provoqua deux nuits d'émeutes - fait inhabituel dans ce pays. Grand adepte de ski de fond et de vélo, M. Ansip est marié et père de trois filles. A. J. Antoine Jacob - L'Estonie a rejoint la zone euro au 1er janvier 2011. Cette volonté d'adopter une monnaie européenne alors passablement chahutée et critiquée n'a pas toujours été comprise à l'étranger. Elle fut même accueillie ici et là par des commentaires ironiques. Avant de dresser un premier bilan, six mois après l'adhésion, pourriez-vous revenir sur les raisons de ce ralliement ?
Andrus Ansip - Pour l'Estonie, c'était une étape vraiment importante. Peu après l'entrée du pays dans l'Union européenne, en 2004, l'opinion publique locale s'est ralliée à l'idée d'un passage aussi rapide que possible à la monnaie unique. Pourquoi ? Primo, l'euro rend le pays encore plus attractif pour les investisseurs étrangers. Il l'était déjà avant le 1er janvier. Environ 70 % des investissements directs étrangers proviennent de Finlande et de Suède. Mais, lors de la crise financière de 2008, des chefs d'entreprise de ces pays, qui auraient souhaité déplacer une partie de leurs activités en Estonie pour résoudre leurs problèmes de rentabilité, doutaient. Ils avaient encore à l'esprit les mauvais souvenirs provoqués par la dévaluation des devises suédoise et finlandaise, lors de la récession du début des années 1990. Le seul moyen pour mon pays de chasser les rumeurs concernant une possible dévaluation de sa devise, la couronne, était donc de rejoindre la zone euro dès que possible. Comme vous le savez, cela faisait dix-huit ans que nous utilisions un système de caisse d'émission avec un taux de change fixe (1). Et ce taux n'avait pas changé d'un iota. Malgré cette stabilité, l'Estonie était en butte à des rumeurs de dévaluation. Désormais, avec l'euro, les investisseurs peuvent faire entièrement confiance à l'Estonie.
A. J. - Quelles étaient les autres raisons ?
A. A. - J'y viens. Secundo, l'euro favorise incontestablement le commerce entre pays membres de l'UE, ce qui nous intéresse au plus haut point : 70 % de nos exportations sont à destination des autres membres de l'Union. Tertio, l'euro a été un soulagement pour nos concitoyens. Environ 90 % des crédits accordés en Estonie sont libellés en euros. Lorsque des rumeurs de dévaluation ont circulé à partir de 2008, les gens ont commencé à devenir nerveux... Tout à coup, ils s'imaginaient devoir étaler leurs remboursements sur des périodes nettement plus longues que prévu ou y consacrer une part encore plus importante de leur budget. Avec l'euro, nous pouvons oublier pour toujours le spectre d'une dévaluation de la couronne estonienne !
A. J. - Quel constat tirer de ce premier semestre au sein de la zone euro ? Les prix ont-ils augmenté ?
A. A. - L'inflation est plus forte qu'avant, mais ce n'est pas à cause de l'euro (2). Il me semble parfois que la monnaie unique recèle un pouvoir mystérieux, qui lui vaut d'être montrée du doigt dès que surgissent de nouveaux problèmes...
A. J. - Est-ce aussi ce que disent les Estoniens ?
A. A. - Non, nous n'avons pas affaire à ce genre de spéculations. Cela dit, comme vous le savez, notre économie repose …