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LA MOLDAVIE, LABORATOIRE DES RELATIONS EST-OUEST

À l'issue des élections législatives du 28 novembre 2010, le quatrième scrutin tenu en moins de deux ans (1), l'Alliance pour l'intégration européenne, coalition de centre droit au pouvoir en Moldavie depuis le 29 juillet 2009, a été confortablement reconduite. Cette victoire n'a pas permis, cependant, de dénouer la crise constitutionnelle qui, depuis plus de deux ans, prive la Moldavie d'un président de la République. Le 5 septembre 2010, les responsables moldaves avaient tenté de sortir de l'impasse en organisant un référendum visant à modifier l'article 78 de la Constitution pour pouvoir élire le président au suffrage universel direct. Selon la Constitution en vigueur depuis 2000, le chef de l'État est élu, en effet, à bulletins secrets par les 3/5e des députés, soit 61 des 101 élus. Le référendum du 5 septembre s'était soldé par un échec. Bien que 87,8 % des électeurs aient approuvé la réforme constitutionnelle, la consultation avait dû être invalidée faute d'une participation suffisante (30,98 % au lieu des 33 % nécessaires). Constitué de trois formations - le Parti libéral-démocrate de Moldavie (PLDM) du premier ministre Vlad Filat, le Parti démocratique (PDM) de Marian Lupu et le Parti libéral (PL) de Mihai Ghimpu -, le gouvernement de coalition dispose actuellement d'une majorité parlementaire de 59 sièges sur 101 (2). Les tractations menées avec le Parti des communistes moldaves (PCM), passé dans l'opposition après huit années de pouvoir (d'avril 2001 à septembre 2009), n'ont permis ni de trouver les deux voix manquantes pour élire le chef de l'État ni de s'entendre sur un candidat neutre. En tant que président du Parlement, Marian Lupu assure donc l'intérim à la tête de l'État. Cet imbroglio institutionnel n'a pas empêché le gouvernement dirigé par Vlad Filat de poursuivre les réformes en vue de rapprocher la Moldavie de l'Union européenne. Accaparées par les évolutions politiques à l'oeuvre dans les deux poids lourds de l'ex-glacis soviétique - l'Ukraine et la Géorgie -, les instances européennes avaient quelque peu négligé, ces dernières années, la petite Moldavie (3). Il est vrai que les ambiguïtés de l'ex-président Vladimir Voronine, ses méthodes de gouvernance autocratiques et ses volte-face diplomatiques n'encourageaient guère l'Europe à s'impliquer activement dans ce pays privé de ressources naturelles autres qu'agricoles et ne présentant aucun enjeu géostratégique majeur. Paradoxalement, la nouvelle donne géopolitique en matière de sécurité pourrait transformer ces handicaps en avantages. Sous l'effet conjugué de la « remise à plat » américaine envers la Russie (4), des efforts franco-allemands pour instaurer un partenariat politique avec Moscou et de la normalisation en cours des relations russo-polonaises - la Pologne étant le pays pivot des relations UE-Russie (5) -, la Moldavie est devenue un laboratoire des relations Est-Ouest. Selon certains experts, elle constitue potentiellement « le terrain d'entente le plus aisé pour les relations euro-russes » (6). Sous la houlette d'une nouvelle équipe dirigeante, jeune et soucieuse de moderniser la société moldave, ce pays de quatre millions et demi d'habitants s'enorgueillit d'être aujourd'hui le « bon élève » du Partenariat oriental (7). De fait, le processus de démocratisation engagé à Chisinau a été salué par la Commission européenne, même si les progrès réalisés pour intégrer les normes européennes demeurent insuffisants. Pro-européens mais réalistes, les responsables moldaves tentent de se rapprocher de l'UE en ménageant la Russie. Ils excluent ainsi officiellement d'intégrer l'Otan - bien que cette question divise en coulisses la coalition au pouvoir -, mais ils ont, en revanche, sensiblement augmenté leurs exportations vers les marchés européens. Cette inclination pour l'Ouest est d'autant plus visible qu'elle va à l'encontre d'un mouvement général de repli dans les pays voisins. L'Ukraine, sous la houlette du président Viktor Ianoukovitch, a opéré un virage spectaculaire vers la Russie ; la Biélorussie, dirigée d'une main de fer par Alexandre Loukachenko, demeure une excroissance de l'ex-URSS ; tandis que la Géorgie n'a d'autre choix que de tempérer ses ambitions euro-atlantiques après le sanglant camouflet de l'été 2008. Cette nouvelle configuration a ouvert des perspectives pour la résolution du conflit gelé de la Transnistrie (8). L'an dernier, le sort de cette micro-république sécessionniste a figuré en bonne place au menu de plusieurs sommets internationaux. Le 5 juin 2010, la chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Dmitri Medvedev ont signé un mémorandum portant sur la création d'un Comité conjoint chargé des questions de sécurité. La Transnistrie y était citée comme premier terrain possible d'application de ce mécanisme. Le dossier a également été évoqué lors de la rencontre trilatérale France-Allemagne-Russie de Deauville en octobre 2010. Les États-Unis ne sont pas en reste. En février dernier, un rapport du Sénat américain appelait la Maison Blanche à faire pression pour un règlement du conflit. Rédigé sous la houlette de l'influent sénateur républicain Richard Lugar, ce texte, d'une quinzaine de pages, préconisait notamment un passage de relais entre les forces russes stationnées en Transnistrie (environ 800 hommes) et une « force internationale civile ». Il proposait également d'évacuer ou de détruire les quelque 20 000 tonnes d'armes et de munitions abandonnées sur place par la XIVe Armée soviétique après la chute de l'URSS. Le règlement de ce contentieux dépendra beaucoup de la bonne volonté du Kremlin, mais aussi de l'évolution politique en Transnistrie, où une élection présidentielle est prévue pour le mois de décembre prochain. Réélu quatre fois depuis 1991, l'actuel président Igor Smirnov devrait vraisemblablement briguer un nouveau mandat, à moins que son âge - 70 ans -, sa santé que l'on dit chancelante, les pressions des milieux économiques transnistriens, en quête d'expansion, et surtout le Kremlin, peut-être tenté de soutenir un candidat plus présentable, ne l'en dissuadent. Étoile montante de la scène politique moldave, le premier ministre Vlad Filat n'a que 42 ans, mais son pragmatisme et sa ténacité pallient son manque d'expérience. L'ascension de son parti - un succès personnel - donne en tout cas le vertige. Le PLD, qui avait obtenu 15 sièges aux législatives du 5 avril 2009, en a raflé 32 un an et demi plus tard ! Né à Lapusna, dans le centre de la Moldavie, Vlad Filat a quitté en 1990 son pays pour suivre des études de droit à l'université de Iasi en Roumanie. Après avoir achevé son cursus, en 1994, il s'est lancé dans le monde des affaires et a dirigé, toujours à Iasi, la société RoMold Trading SRL, puis la compagnie Dosoftei. En 1998, il est rentré en Moldavie pour prendre la tête du département des privatisations et de l'administration des propriétés de l'État au ministère de l'Économie et des Réformes. Membre du Parti démocrate de Moldavie à partir de 1997, il a quitté cette formation deux ans plus tard pour fonder le Parti libéral-démocrate. En 2005, il a été élu pour la première fois député. Au lendemain des législatives de juillet 2009, remportées par l'Alliance pour l'intégration européenne, il prend la tête du gouvernement de coalition. Il sera reconduit dans ses fonctions après les législatives de novembre 2010. Marié, père de deux enfants, Vlad Filat dispose d'une fortune personnelle estimée à une quarantaine de millions de dollars. Son succès politique lui vaut le soutien de puissants milieux d'affaires. Bien qu'on lui prête un caractère autoritaire, il possède le talent de savoir s'entourer d'hommes compétents, tels que le chef de la diplomatie Iurie Leanca ou l'ambassadeur de Moldavie à Paris, Oleg Serebrian. Dépeint comme un homme déterminé, il sait aussi faire preuve de patience. Des qualités indispensables pour maintenir l'unité d'un gouvernement fragilisé autant par les rivalités personnelles et les querelles de chapelle que par les « intérêts privilégiés » - selon les termes du président Medvedev - de Moscou. A. T. Arielle Thédrel - Depuis deux ans, la Moldavie est privée de chef de l'État. Comment résoudre ce casse-tête ? Vlad Filat - Comme vous le savez, il manque deux voix à l'Alliance pour élire le président. Aucun député communiste n'ayant accepté de se rallier à nous, le processus est toujours bloqué. Nous poursuivons donc les négociations avec l'opposition communiste dans l'espoir de trouver un compromis, c'est-à-dire de s'accorder sur le nom d'un candidat neutre qui conviendrait à tout le monde. Une autre possibilité consisterait à réduire la majorité nécessaire à l'élection du chef de l'État. Ce qui exigerait un amendement constitutionnel. Mais, là encore, nous aurions besoin des voix communistes. Pour le moment, ils refusent de céder quoi que ce soit, mais ils pourraient changer d'attitude au vu des résultats des élections locales du 5 juin. A. T. - Que voulez-vous dire ? V. F. - Bien que la conjoncture ne soit pas facile, la population nous soutient. L'Alliance a obtenu un score susceptible de modifier le comportement des communistes, de les rendre plus flexibles, plus ouverts au dialogue (9). A. T. - L'absence de président handicape-t-elle votre action ? V. F. - Bien évidemment, cette crise est très regrettable ; mais il faut la relativiser. La Moldavie dispose d'un régime parlementaire assez proche de celui qui existe en Autriche. La Constitution accorde au chef de l'État des pouvoirs limités. Dans certaines circonstances exceptionnelles, par exemple si le Parlement est dans l'incapacité d'élire le nouveau chef de l'État, celui-ci peut procéder à une dissolution. Il peut aussi présenter la candidature du premier ministre et nommer les ambassadeurs, mais il ne les choisit pas. À l'époque de l'ex-président Vladimir Voronine (10), la situation était différente. Voronine gouvernait non pas en tant que président de la République, mais en tant que chef du parti majoritaire. Ce qui revient à dire qu'il concentrait tous les pouvoirs. Néanmoins, nous avons démontré, depuis le 25 septembre 2009, qu'il était possible de mener à bien notre programme de réformes. Nous avons surmonté la crise financière de 2008, les indicateurs économiques sont au vert et nous progressons dans le processus d'intégration européenne. Force est de constater que l'absence de président ne nous empêche pas de gouverner. L'élection d'un chef de l'État n'est donc pas une urgence, mais elle est nécessaire pour garantir la stabilité du pays et assurer la poursuite des réformes. Si nous ne parvenons pas à trouver un compromis, il faudra convoquer de nouvelles élections anticipées, ce qui créerait des problèmes supplémentaires. A. T. - Quelles sont les principales divergences qui s'expriment au sein de la coalition gouvernementale ? Éprouvez-vous des difficultés à maintenir une certaine unité ? V. F. - Je ne connais aucun gouvernement de coalition qui soit facile à diriger. L'Alliance pour l'intégration européenne est constituée de trois partis situés à droite, au centre droit et au centre gauche. Il est normal qu'un tel spectre polychrome suscite des débats et qu'existent entre nous des divergences de vues ; mais ce qui cimente …