En ce matin du 2 mai, Yousouf Raza Gilani sait que les prochaines semaines vont être difficiles. Oussama Ben Laden, le chef d'Al-Qaïda, vient d'être abattu par un commando des Navy Seals à Abbottabad, une ville garnison située à trois heures de route de la capitale. Les autorités pakistanaises avaient pourtant assuré que Ben Laden ne séjournait pas sur leur territoire... Cet événement, qui met en évidence le double jeu du Pakistan dans la lutte contre les groupes djihadistes, a contribué à refroidir les relations avec les États-Unis, qui étaient déjà mal en point. Depuis le début de l'année 2011, en effet, la CIA intensifie les frappes de drones contre des chefs terroristes et des leaders talibans dans les zones tribales, près de la frontière afghane. Mais les bombardements tuent aussi des civils, provoquant la colère de l'opinion publique. Dans ce contexte difficile, le Pakistan se cherche de nouveaux alliés. Très proche de la Chine, il se tourne désormais vers l'Union européenne. Les échanges avec les instances européennes se multiplient depuis quelques mois, en particulier à travers de fréquentes visites de députés européens à Islamabad. Le Pakistan veut aussi se rapprocher, bilatéralement, des divers pays de la Vieille Europe et, notamment, de la France, dont il attend une aide économique. Le pays souhaite accroître ses exportations vers la zone euro et attirer davantage d'investisseurs français. La tâche est ardue. Attaques contre les chrétiens ; collusion de l'ISI (la principale agence de renseignement) avec des groupes terroristes ; attentats en série : l'image du Pakistan dans l'opinion publique internationale est catastrophique. Lorsqu'on l'interroge sur ces questions épineuses, ce fidèle du président Zardari qui appartient au sérail du PPP (1) cache mal son embarras. Il est vrai que, en matière de lutte contre le terrorisme, sa marge de manoeuvre reste étroite : tout le dispositif repose, en effet, sur une armée et des services de renseignement qu'il ne contrôle pas et qui ne rendent des comptes qu'à eux-mêmes. E. D.
Emmanuel Derville - Étiez-vous au courant de l'opération américaine visant à tuer Oussama Ben Laden ? Yousouf Raza Gilani - Oui, j'étais au courant (2). Dans les heures qui ont suivi, j'ai multiplié les réunions avec le chef d'état-major de l'armée, le général Kayani, mais aussi avec le président et les chefs des services de renseignement. Je vous avoue que je n'ai pas dormi de la nuit ! E. D. - Quel rôle les services secrets pakistanais ont-ils joué dans l'assassinat de Ben Laden ? Leur aide a-t-elle été utile ? Y. R. G. - Bien sûr. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nos services de renseignement, en particulier l'ISI, collaborent avec les agences de sécurité américaines. La mort de Ben Laden est une bonne nouvelle pour le monde entier. E. D. - Pourtant, ces derniers mois, les relations entre la CIA et l'ISI se sont détériorées après l'interpellation de l'espion américain Raymond Davis au Pakistan (3)... Y. R. G. - C'est exact. Mais les relations entre les deux agences ne peuvent pas être prises en otage par un seul incident. Il faut continuer à coopérer. E. D. - L'attentat contre les ingénieurs français à Karachi en 2002 a longtemps été imputé à un groupe terroriste islamique. En France, où cette thèse est très critiquée, on évoque la piste de rétro-commissions qui n'auraient pas été versées. Quelles informations pouvez-vous donner aux familles des victimes ? Y. R. G. - Je n'étais pas au pouvoir au moment des faits. Je me trouvais alors en prison parce que j'étais un opposant au régime de Moucharraf. Par conséquent, je n'ai joué aucun rôle à l'époque. Mais je suis convaincu que ces hommes n'ont pas été tués à cause d'une histoire de pots-de-vin qui a mal tourné. Ils ont été la cible de terroristes islamistes. E. D. - Le Pakistan a une image désastreuse dans l'opinion publique française. Comment comptez-vous y remédier ? Y. R. G. - Cette mauvaise image ne nous empêche pas d'avoir de bonnes relations avec le gouvernement français. Nous considérons la France comme un pays qui compte en Europe et dans le monde. Nous voulons resserrer nos liens. D'ailleurs, en 2010, j'avais planifié deux visites officielles à Paris que j'ai dû annuler, d'abord à la suite de l'irruption d'un volcan islandais qui avait cloué les avions au sol, puis à cause des inondations (4). Mais je tenais à cette visite, et c'est pour cette raison que je me suis rendu en France en mai dernier. E. D. - Durant votre séjour parisien, vous avez rencontré des représentants du Medef. Comment convaincre les investisseurs français de venir au Pakistan ? Y. R. G. - Les entreprises ne doivent pas avoir peur. Après tout, plusieurs multinationales sont présentes au Pakistan (5) et nous sommes en mesure d'assurer leur sécurité. À l'issue de ma visite, la France et le Pakistan ont signé un accord portant sur la création d'un Conseil des chefs d'entreprise franco-pakistanais qui sera chargé, comme son nom …
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