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PORTUGAL : LE TEMPS DES SACRIFICES

Ce mardi 7 juin - le jour où Pedro Passos Coelho nous a reçus à Lisbonne pour cet entretien - fut pour notre hôte une journée agitée. « Faire un gouvernement, ça prend du temps ! », dit-il en riant, nous priant d'excuser son retard. À peine deux jours plus tôt, dans la soirée du dimanche, le jeune futur premier ministre - il est âgé de 46 ans - célébrait la victoire du Parti social-démocrate qu'il préside depuis l'an dernier. La victoire du PSD, qui se situe au centre droit de l'échiquier politique, est incontestable, mais pas aussi large que l'espérait Passos Coelho. Les considérables défis du moment, les douloureuses réformes que ce nouveau gouvernement devra mettre en place à la demande du FMI, de la BCE et de l'Union européenne (la « troïka »), après un sauvetage de 78 milliards d'euros, l'avaient poussé durant la campagne à solliciter auprès des électeurs une majorité absolue. Un tel exploit était considéré comme peu probable et ne lui fut pas accordé. Le PSD a dû se contenter d'une majorité relative (38,63 % des suffrages, 105 députés sur 230). Cette majorité est, certes, confortable, mais elle lui impose de gouverner en coalition avec le parti conservateur CDS-PP (Centro Democratico e Social - Partido Popular) qui, de son côté, a obtenu 11,74 % des suffrages et 24 sièges. Le dirigeant du CDS-PP, Paulo Portas, a répété tout au long de sa campagne qu'il « adoucirait » la dureté des réformes et qu'il servirait de « contrepoids » au libéralisme du PSD. La coexistence risque de ne pas être toujours facile, même si cette coalition, formalisée le 16 juin, a promis d'être solide et stable durant les quatre ans de la législature. Malgré l'ampleur des défis, Passos Coelho entend aller au-delà des exigences de la « troïka ». Tout en promettant de sauvegarder la cohésion de la société portugaise, il souhaite réformer les fondements de l'État-providence dans les domaines de la protection sociale, de la santé et de l'éducation. Il voudrait aussi que les objectifs de réduction du déficit budgétaire fixés par l'Europe et le FMI (5,9 % en 2011, 4,5 % en 2012, 3 % en 2013) soient atteints plus rapidement que prévu. L'idée, nous expliquait l'un de ses proches, est de redonner confiance aux investisseurs le plus vite possible, de se démarquer de la Grèce et d'offrir aux marchés une « heureuse surprise ». Une telle ambition suscite, certes, l'admiration mais aussi un brin de scepticisme. Selon la Commission européenne, l'OCDE ou même la Banque du Portugal, l'avenir n'est pas rose. La Commission prévoit une forte contraction de l'économie - d'environ 4 % au cours de la première année des programmes de réformes -, un chômage à 13 %, une réduction des salaires de 3,6 % cette année et de 1,9 % en 2012, une baisse de la consommation de 4,4 % en 2011 et de 3,8% en 2012. « Le cadre macro-économique qu'on entrevoit pour le futur proche est particulièrement sévère », annonçait un communiqué récent de la Banque du Portugal. Et une vive contestation sociale n'est pas exclue. Pedro Passos Coelho se montre néanmoins optimiste. Après tout, même les électeurs du Parti socialiste (28,05 % des voix, 73 députés) de l'ancien premier ministre José Socrates approuvent ses orientations. Mais, à supposer qu'il parvienne à sceller le « contrat social » qu'il appelle de ses voeux, le nouveau chef du gouvernement pourra-t-il briser trois décennies d'une culture politique basée sur la dépendance à l'égard d'un État omniprésent et clientéliste ? Il est vrai qu'il possède quelques atouts. Bien qu'il ait rejoint les rangs du PSD dès l'âge de 14 ans, Passos Coelho est relativement novice en politique : il a passé une décennie dans le monde des affaires, comme consultant auprès de plusieurs sociétés portugaises, avant de conquérir la présidence de son parti en 2010. Il a beau diriger depuis un an l'un des grands partis traditionnels que conspuent les « indignés » de la jeunesse portugaise, il n'est pas sorti du même moule que les politiciens locaux habituels. Visage neuf, il veut porter un vent nouveau sur un pays vieillot. Chanteur de fado amateur - mais, paraît-il, talentueux -, il a passé son enfance en Angola où son père était médecin, du temps où ce pays était encore une colonie portugaise. Libéral dans une nation qui ne l'est pas, il devra faire oeuvre de pédagogie à la tête d'un gouvernement appelé non seulement à sauver le Portugal de la déroute financière, mais aussi, peut-être, à lui ouvrir les portes d'un nouvel avenir. M. F. Michel Faure - Monsieur le premier ministre, comment le Portugal en est-il arrivé à solliciter une aide de 78 milliards d'euros auprès du FMI et de l'Europe pour éviter la faillite ?
Pedro Passos Coelho - Le Portugal en est arrivé là parce qu'il souffre de trois déséquilibres. Pendant de trop nombreuses années, notre pays a été soumis à de mauvaises politiques qui sont la cause du niveau excessif de nos dépenses publiques. Le deuxième déséquilibre tient au fait qu'il ne s'agit pas seulement de la dette de l'État qui s'accumule, déficit après déficit, mais aussi des dettes générées par toute une série de projets associant le secteur public et le secteur privé (1). Ils ont souvent abouti à des résultats absurdes. Nous avons, par exemple, financé un réseau d'autoroutes parmi les plus denses d'Europe, sur lequel s'écoule l'un des trafics automobiles les plus fluides du continent ! Le troisième déséquilibre, enfin, qui s'est accentué au cours des quinze dernières années, est celui de notre endettement extérieur. En 1995, cette dette représentait 10 % du PIB ; elle s'élève aujourd'hui à 110 % de ce même PIB. Ce chiffre traduit le manque de compétitivité du pays. M. F. - La situation économique difficile que vous nous dépeignez est-elle seulement une affaire technique de déséquilibres, ou est-elle aussi le symptôme de quelque chose de plus profond ? Pour parler sans détour : les Portugais n'ont-ils pas développé une culture de la dépendance vis-à-vis de l'État ? P. P. C. - Non, notre situation n'a pas d'origine culturelle. Elle est seulement l'effet de politiques inadaptées. Nous avions besoin, notamment après notre adhésion à la zone euro, de réformes structurelles qui n'ont pas été réalisées ; et nous aurions dû mieux évaluer les conséquences de ces grands partenariats public-privé que j'évoquais il y a un instant.
M. F. - Que leur reprochez-vous au juste ?
P. P. C. - Je n'ai aucun préjugé à l'égard de ces partenariats qui peuvent être de bons instruments. Mais l'État portugais en a abusé ; il s'est parfois trompé et n'a pas fait les meilleurs choix en termes d'investissements productifs, au détriment des comptes publics. Les taux de recouvrement ont été trop faibles pour assurer la rentabilité de certaines infrastructures. Dans cette affaire, on n'a pas obéi aux règles du rapport entre coûts et bénéfices. L'État a offert de trop fortes garanties. Même dans de tels partenariats, le secteur privé doit prendre des risques, ce qui n'a pas toujours été le cas. Il s'est souvent concentré sur ces projets aux dépens d'autres investissements que réclamait pourtant le marché et qui auraient été plus productifs. À cet égard, la responsabilité politique de mes prédécesseurs est clairement engagée.
M. F. - Ces partenariats ont-ils été une source de corruption ?
P. P. C. - Je ne dispose pas d'éléments qui permettent de répondre à cette question. Ce que je sais, c'est que les contrats ont reçu l'aval de la Cour des comptes, et qu'ils n'ont fait l'objet d'aucune plainte …