Les Grands de ce monde s'expriment dans

POUR UN AFGHANISTAN DEMOCRATIQUE

À cinquante ans, Abdullah Abdullah est le principal rival du président afghan Hamid Karzai. Moitié tadjik, moitié pachtoune, chirurgien ophtalmologue dans le civil, il fut le principal conseiller du héros de l'Alliance du Nord, Ahmad Shah Massoud, assassiné le 9 septembre 2001 par Al-Qaïda, avant de devenir ministre des Affaires étrangères du président Hamid Karzai. Chassé du gouvernement afghan en 2006, il s'est présenté contre le président à la dernière élection présidentielle, en 2009. Arrivé deuxième au premier tour, avec 31 % des voix, il a décidé de ne pas participer au second tour du scrutin, accusant le pouvoir d'avoir organisé une fraude à grande échelle. Il dirige aujourd'hui le premier mouvement d'opposition démocratique en Afghanistan, la Coalition pour le changement. Principal détracteur du gouvernement d'Hamid Karzai, Abdullah Abdullah est aussi le plus virulent opposant aux talibans : selon lui, il ne faut en aucun cas négocier avec eux (1). M. Abdullah ne mâche pas ses mots à l'égard du Pakistan, qu'il accuse de duplicité : si Islamabad est officiellement partie prenante à la guerre contre la terreur, une frange de ses services secrets - dit-on - continue discrètement et impunément de soutenir les talibans. Enfin, il se prononce pour un maintien des forces internationales en Afghanistan et souhaite que son pays suive une troisième voie, différente aussi bien de celle d'Hamid Karzai que de celle des talibans, et basée sur des réformes réellement démocratiques. I. L. Isabelle Lasserre - Quelles seront, selon vous, les conséquences de la mort de Ben Laden sur la rébellion en Afghanistan ? Abdullah Abdullah - L'impact sera à la fois local et global. Mais il m'importe d'abord de rappeler que Ben Laden, depuis le début, était le leader, le symbole et le guide stratégique d'Al-Qaïda, le patron de ses réseaux et de ses opérations terroristes, en Afghanistan et ailleurs dans le monde, même si certaines cellules locales d'Al-Qaïda ont parfois un fonctionnement plus autonome. Je pense cependant que sa disparition ne provoquera aucun changement à court terme en Afghanistan. En ce qui concerne l'avenir de la rébellion à long terme, tout dépendra de l'évolution des relations entre les États-Unis et le Pakistan. Après les attentats de 2001, le Pakistan avait officiellement décidé de soutenir la guerre contre le terrorisme lancée par les Américains. Mais, dans l'ombre, de nombreux responsables ont continué à aider Al-Qaïda et les talibans. Si les États-Unis et le pouvoir d'Islamabad trouvent un moyen de diminuer le rôle néfaste que les services secrets pakistanais (l'ISI) jouent en Afghanistan (2), alors les talibans s'affaibliront automatiquement. Sinon, il n'y a aucune raison que leur résistance faiblisse. I. L. - Dans quel sens cette relation entre Washington et Islamabad va-t-elle évoluer, selon vous ? A. A. - Il est un peu tôt pour le dire, mais une chose est sûre : elle va changer. Il est difficile d'imaginer, en effet, que les États-Unis puissent à nouveau faire confiance à l'ISI. Les deux parties ont intérêt à faire redémarrer la relation sur une base plus saine. L'Amérique et le Pakistan ont des intérêts communs. Ils ont aussi des divergences, la principale étant le fait que les talibans constituent un atout pour l'ISI et une menace pour Washington. Ils devront donc surmonter cet obstacle. Ce ne sera pas facile, car les Pakistanais ont beaucoup attendu pour agir contre les talibans et on peut se demander s'il n'est pas déjà trop tard pour faire marche arrière. Les responsables pakistanais n'ont toujours pas officiellement décidé d'arrêter de manipuler le terrorisme et ses réseaux pour servir les objectifs de leur pays. Au Pakistan, l'armée repose sur trois piliers : le Cachemire, l'Afghanistan et la bombe nucléaire. Les terroristes que les Pakistanais emploient pour déstabiliser l'Afghanistan sont également utilisés au Cachemire (3). Voilà maintenant trente ans que le Pakistan soutient les groupes terroristes. Des sympathies et des liens solides ont fini par se créer entre l'ISI, les talibans pakistanais et les talibans afghans. Il sera très compliqué de démanteler ce système. Aux États-Unis, la prise de conscience à ce sujet a été très tardive. Pendant de longues années, Washington a accepté de travailler avec l'establishment pakistanais, en ignorant volontairement que celui-ci était malhonnête. Les Américains auraient dû saisir la gravité du problème au lendemain des attentats du 11 Septembre. Beaucoup de temps a été perdu, et il faut désormais essayer de tout remettre à plat. I. L. - Quelle est la nature des liens qui unissent les …