Entretien avec
Andrus Ansip, Premier ministre d'Estonie depuis 2005.
par
Antoine Jacob, journaliste indépendant couvrant les pays nordiques et baltes. Auteur, entre autres publications, de : Les Pays baltes, Lignes de repères, 2009 ; Histoire du prix Nobel, François Bourin Éditeur, 2012.
n° 132 - Été 2011
Antoine Jacob - L'Estonie a rejoint la zone euro au 1er janvier 2011. Cette volonté d'adopter une monnaie européenne alors passablement chahutée et critiquée n'a pas toujours été comprise à l'étranger. Elle fut même accueillie ici et là par des commentaires ironiques. Avant de dresser un premier bilan, six mois après l'adhésion, pourriez-vous revenir sur les raisons de ce ralliement ? Andrus Ansip - Pour l'Estonie, c'était une étape vraiment importante. Peu après l'entrée du pays dans l'Union européenne, en 2004, l'opinion publique locale s'est ralliée à l'idée d'un passage aussi rapide que possible à la monnaie unique. Pourquoi ? Primo, l'euro rend le pays encore plus attractif pour les investisseurs étrangers. Il l'était déjà avant le 1er janvier. Environ 70 % des investissements directs étrangers proviennent de Finlande et de Suède. Mais, lors de la crise financière de 2008, des chefs d'entreprise de ces pays, qui auraient souhaité déplacer une partie de leurs activités en Estonie pour résoudre leurs problèmes de rentabilité, doutaient. Ils avaient encore à l'esprit les mauvais souvenirs provoqués par la dévaluation des devises suédoise et finlandaise, lors de la récession du début des années 1990. Le seul moyen pour mon pays de chasser les rumeurs concernant une possible dévaluation de sa devise, la couronne, était donc de rejoindre la zone euro dès que possible. Comme vous le savez, cela faisait dix-huit ans que nous utilisions un système de caisse d'émission avec un taux de change fixe (1). Et ce taux n'avait pas changé d'un iota. Malgré cette stabilité, l'Estonie était en butte à des rumeurs de dévaluation. Désormais, avec l'euro, les investisseurs peuvent faire entièrement confiance à l'Estonie. A. J. - Quelles étaient les autres raisons ? A. A. - J'y viens. Secundo, l'euro favorise incontestablement le commerce entre pays membres de l'UE, ce qui nous intéresse au plus haut point : 70 % de nos exportations sont à destination des autres membres de l'Union. Tertio, l'euro a été un soulagement pour nos concitoyens. Environ 90 % des crédits accordés en Estonie sont libellés en euros. Lorsque des rumeurs de dévaluation ont circulé à partir de 2008, les gens ont commencé à devenir nerveux... Tout à coup, ils s'imaginaient devoir étaler leurs remboursements sur des périodes nettement plus longues que prévu ou y consacrer une part encore plus importante de leur budget. Avec l'euro, nous pouvons oublier pour toujours le spectre d'une dévaluation de la couronne estonienne ! A. J. - Quel constat tirer de ce premier semestre au sein de la zone euro ? Les prix ont-ils augmenté ? A. A. - L'inflation est plus forte qu'avant, mais ce n'est pas à cause de l'euro (2). Il me semble parfois que la monnaie unique recèle un pouvoir mystérieux, qui lui vaut d'être montrée du doigt dès que surgissent de nouveaux problèmes... A. J. - Est-ce aussi ce que disent les Estoniens ? A. A. - Non, nous n'avons pas affaire à ce genre de spéculations. Cela dit, comme vous le savez, notre économie repose sur un modèle libéral et dépend énormément de l'évolution des marchés et des cours du pétrole. De plus, les prix semblent augmenter d'autant plus nettement qu'ils sont évalués par rapport à des périodes, il y a un an ou deux, où régnait la déflation. Mais, si tout se passe bien, le taux d'inflation diminuera au second semestre de cette année. A. J. - Non seulement l'Estonie a réussi l'an dernier à se qualifier pour l'euro mais elle est le seul État membre de l'UE à n'avoir pas enregistré de déficit budgétaire (3), alors qu'elle venait tout juste de se remettre d'une année 2009 marquée par une chute de 14 % du PIB. Comment ce résultat a-t-il pu être atteint ? A. A. - Vous savez, l'opinion publique n'est pas favorable à l'endettement et au transfert de ce fardeau aux générations suivantes. En Estonie, le déficit n'a été supérieur au niveau autorisé par le Pacte de stabilité et de croissance (3 % du PIB) que durant une seule année : en 1999, avec 3,5 %. Le reste du temps, nous avons connu des déficits inférieurs ou de légers excédents. Ainsi, durant les très bonnes années, de 2002 à 2007, nous avons pu constituer pas mal de réserves. Aujourd'hui, celles-ci s'élèvent encore à 12 % environ de notre PIB. Quant au niveau de notre dette publique, c'est le moins élevé de toute l'UE avec 6,6 % du PIB. Nous pouvons donc dire que l'Estonie était assez bien préparée pour affronter une crise financière. Je dois reconnaître néanmoins que celle, très forte, qui nous a frappés en 2008 nous a fait beaucoup souffrir. Nous avons dû tailler dans les dépenses publiques, procéder à des réformes structurelles, modifier notre droit du travail. Nous avons augmenté les taxes d'accises sur le tabac, l'alcool et les carburants, ainsi que la TVA (de 18 % à 20 %). Et nous avons décidé une hausse de l'âge de la retraite, qui passera progressivement à 65 ans d'ici à 2026. Mais attention : si nous avons adopté toutes ces mesures, ce n'était pas pour entrer dans la zone euro ; c'était pour maintenir le pays en bonne santé. Euro ou pas, nous nous devions de mener une politique fiscale prudente. A. J. - Comment expliquez-vous que cette logique ne soit pas plus répandue ailleurs en Europe ? A. A. - L'Estonie n'est pas une exception. Le bon sens l'emporte un peu partout. Selon l'Eurobaromètre, il existe une corrélation indiscutable entre la taille du déficit budgétaire et la confiance que l'opinion publique accorde aux gouvernements. Jetez-y un oeil, et vous verrez que dans les pays où le déficit est important, la confiance est faible. Et inversement. D'après l'Eurobaromètre, le gouvernement qui jouit de la plus large confiance de sa population est celui du Luxembourg, suivi de la Suède. Deux pays qui présentent des déficits modestes. Et, en troisième place, surprise : l'Estonie ! Ces trois États figurent parmi les rares membres de l'UE contre lesquels Bruxelles n'a pas lancé de …
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