par
Pierre Joannon, Historien, spécialiste de l’Irlande, co-fondateur de la revue universitaire Études Irlandaises. Auteur, entre autres publications, de : Histoire de l’Irlande et des Irlandais, Perrin, 2006 et 2009.
Pierre Joannon - Vous avez qualifié de « révolution démocratique » le raz de marée électoral du 25 février 2011 qui vous a porté au pouvoir à la tête d'une coalition Fine Gael - Parti travailliste. Dans quel sens faut-il interpréter cette formule qui ressemble à un oxymore ? Enda Kenny - Ce que j'ai voulu dire, c'est que l'Irlande a prouvé, en l'occurrence, qu'elle était une authentique démocratie. Alors que le pays traverse une grave crise économique, sans doute la plus grave de son histoire, le peuple irlandais a réagi avec maturité et sang-froid. Il ne s'est pas mis en grève, il n'est pas descendu dans la rue, il n'a pas bouté le feu aux bâtiments publics. Dominant sa frustration, il a attendu patiemment que survienne une élection. Et c'est dans les urnes qu'il a finalement laissé éclater sa colère et son ressentiment. Le taux de participation au scrutin a été exceptionnellement élevé et la sanction a été d'autant plus cuisante. Pour le Fianna Fail, qui était au pouvoir, perdre 66 sièges dans une élection fut un choc traumatique. Ainsi avons-nous administré la preuve que nous étions bien une démocratie solide et vivante. C'est par le suffrage universel, et par lui seul, que les citoyens de ce pays, respectueux des lois qu'ils se sont données, ont résolu d'exprimer leur mécontentement et leur soif de changement. P. J. - Afin de disposer d'une majorité au Dail (l'Assemblée nationale irlandaise), vous aviez le choix entre deux options : former une coalition avec le Parti travailliste ou négocier le soutien de 8 députés indépendants sur un total de 19. Pourquoi avoir choisi la première option et écarté la seconde ? E. K. - Pour plusieurs raisons. En premier lieu, je vous rappelle que le Fine Gael et le Parti travailliste ont l'habitude de travailler ensemble. Nous avons été associés au pouvoir à six reprises depuis la fin de la guerre. En second lieu, il nous est apparu, au lendemain du scrutin de février, que nos programmes étaient compatibles et qu'un accord était possible. En troisième lieu, il nous a semblé plus facile de nous asseoir autour d'une table avec les Travaillistes pour élaborer ensemble un programme de gouvernement plutôt que de tenter de faire la synthèse de huit, ou neuf, ou dix programmes en nous adressant à des Indépendants. Enfin, nous avons été guidés par un souci de stabilité et d'efficacité. Nous étions confrontés à la nécessité de prendre des décisions importantes dans l'intérêt du pays ; dans ces circonstances, il n'était pas souhaitable de dépendre du soutien fragile et aléatoire de quelques Indépendants. Avec les Travaillistes, nous formons un bloc solide de 113 députés sur les 166 que compte le Dail. Jamais un gouvernement irlandais n'a disposé d'une telle majorité. Nous avions besoin d'un mandat aussi large que possible pour prendre les graves décisions qu'exige la conjoncture difficile dans laquelle nous nous trouvons. Nous disposons d'un tel mandat : il nous confère responsabilité et autorité pour engager le pays sur la voie des réformes. P. J. - Vous avez souligné la nécessité de promouvoir des réformes politiques importantes. Une convention constitutionnelle doit être réunie pour proposer des amendements à la Constitution irlandaise de 1937. Quelles sont les mesures qui vous paraissent les plus urgentes ? E. K. - Elles sont nombreuses. Certaines sont affaire de perception, d'autres relèvent de la volonté d'introduire plus d'efficacité dans le fonctionnement de nos institutions. Afin de montrer que nous avions entendu les critiques de l'électorat sur le train de vie du gouvernement, nous avons réduit les salaires des ministres, diminué les escortes policières, restreint le nombre de voitures officielles. Le traditionnel déplacement des membres du gouvernement à la présidence pour la cérémonie d'investiture s'est fait en autobus. Terminée la noria des voitures officielles à laquelle on avait coutume d'assister jusque-là. Voilà pour ce qui est de la perception. En ce qui concerne la refonte des institutions, notre programme de gouvernement prévoit l'organisation d'un référendum constitutionnel sur l'abolition du Sénat. En Irlande, loin d'être une Chambre haute, le Sénat a été dès l'origine une seconde Chambre dupliquant la première. Une vingtaine de rapports officiels ont suggéré de modifier le recrutement et le fonctionnement de la seconde Chambre. Cela n'a jamais rien donné. En proposant de supprimer purement et simplement le Sénat, j'ai été à l'origine d'une réflexion approfondie sur le sujet. Aujourd'hui, l'ensemble des partis politiques s'est peu ou prou rallié à cette proposition. Ses implications sont complexes tant les références au Sénat sont nombreuses dans notre Constitution. Celle-ci devra donc subir un toilettage important. Nous avons demandé à l'Attorney General - le Conseiller juridique du gouvernement - d'élaborer un projet de Constitution sans référence au Sénat que nous nous sommes engagés à soumettre au peuple par référendum dans un délai de douze mois. P. J. - Pourquoi avoir opté pour la suppression du Sénat ? N'eût-il pas été plus simple de le réformer ? E. K. - Je ne le crois pas. Voyez-vous, la suppression du Sénat s'inscrit dans une démarche plus large d'amélioration de la procédure législative. C'est au niveau du Dail que les progrès peuvent et doivent être mis en oeuvre. Nous devons faire en sorte de mieux associer les organisations professionnelles, les associations, les personnalités et les citoyens à la délibération des projets de lois les concernant ; de donner plus de temps et de moyens aux députés pour examiner ceux-ci ; de favoriser le dépôt et la discussion d'amendements ; et de veiller à insérer des clauses d'évaluation dans les textes votés de manière à déterminer, au terme d'un délai de douze à quinze mois, s'ils ont atteint leur but, s'ils doivent être modifiés ou abrogés. Plus qu'un hypothétique replâtrage du Sénat, c'est le travail parlementaire qui doit être revu, amélioré et adapté aux nécessités de l'heure. Nous devons notamment en finir avec le système des tribunaux d'enquête et autres commissions ad hoc, et conférer à des commissions parlementaires les pouvoirs d'investigation et les moyens nécessaires pour aboutir aux mêmes résultats …
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