Les Grands de ce monde s'expriment dans

ISRAEL FACE AU PRINTEMPS ARABE

Entretien avec Amos Yadlin par Dan Raviv, correspondant de la radio CBS à Washington, ancien correspondant à Londres et au Moyen-Orient.

n° 132 - Été 2011

Amos Yadlin Dan Raviv - Monsieur Yadlin, quels sont les succès militaires israéliens dont vous êtes le plus fier ?
Amos Yadlin - Pourquoi se limiter aux succès militaires ? Israël est un miracle tout à la fois culturel, social, économique et moral ! On ne peut résumer notre nation en évoquant ses seules victoires militaires. Des Juifs du monde entier sont venus se rassembler dans ce pays, en provenance d'Asie, d'Europe, d'Australie ou d'Afrique. Ce peuple chassé de sa patrie il y a 2 000 ans, dispersé aux quatre vents, victime de persécutions et de pogroms, massacré par le régime nazi, a réussi à créer un État moderne, indépendant et viable. Notre nation a ressuscité une langue ancienne, celle de la Bible, l'hébreu, qui est aujourd'hui parlée comme le sont le français et l'anglais. La jeune société israélienne est hétérogène et dynamique, même si elle n'est pas exempte de tensions et de conflits. Une grande majorité d'Israéliens sont arrivés de pays sans culture démocratique, comme la Russie ou les pays arabes, mais ils ont bâti une société et des institutions démocratiques qui ont survécu à de nombreuses crises et à de fréquents changements de gouvernement. Sur un plan plus personnel, je suis fier des réalisations du village de mon enfance. Je suis né et j'ai grandi dans le kibboutz de Hatzerim, dans le désert du Néguev - un kibboutz de pionniers et d'idéalistes qui ont quitté de confortables situations en ville pour établir une société rurale, juste, fondée sur les valeurs d'égalité, de coopération et de travail. Lorsqu'ils ont compris qu'il serait difficile de pérenniser des activités agricoles sur ce sol aride et salé, ces camarades ont décidé de faire évoluer le fonctionnement du kibboutz. Hatzerim a donné naissance à une multinationale, Netafim, pionnière dans le développement et l'utilisation de la micro-irrigation. Ce système permet d'irriguer des récoltes entières avec de petites quantités d'eau tout en prévenant les maladies qui peuvent toucher les plantations. Cette société exporte vers des dizaines de pays et génère des revenus de plusieurs centaines de millions de dollars chaque année pour le kibboutz. Pour en venir aux faits purement militaires, je suis très fier de l'armée de l'air israélienne, une des meilleures du monde. C'est un « cocktail » fantastique qui rassemble un personnel motivé, des technologies de pointe et des stratégies de premier ordre qui sont à la source des victoires de 1967 et de 1982, mais qui ont permis, aussi, que soient tirés les enseignements des échecs comme celui de 1973. J'ajoute que les frappes israéliennes sur les installations nucléaires de Saddam Hussein ont ouvert les yeux à toute la région sur ce programme clandestin et ouvert la voie à l'intervention américaine contre l'Irak au Koweït en 1991. Cet alliage de renseignements précis et de la capacité opérationnelle de l'armée de l'air est la clé de la sécurité de l'État d'Israël et de sa politique de dissuasion.
D. R. - Quelles sont les réalisations qui, à votre avis, ont le plus contribué à la stabilité du Moyen-Orient ?
A. Y. - Cette capacité de dissuasion que j'évoque est essentielle pour la stabilité de la région ! En 1973, malgré l'effet de surprise et notre recul lors de la première offensive, nous avons fini la guerre en situation victorieuse, sur le territoire même de l'ennemi. En 1982, nous avons abattu 80 appareils syriens et détruit les systèmes de défense anti-aériens de l'armée syrienne situés dans la plaine de la Bekaa, au Liban. Ces deux exploits de l'aviation israélienne ont réduit l'appétence de nos ennemis pour les guerres conventionnelles. Mais nous avons également remporté trois guerres asymétriques qui nous ont été imposées par des organisations terroristes. Même si nos victoires ne sont pas claires et indiscutables, Israël a réussi à réduire l'influence du terrorisme jusqu'à un niveau qui n'en fait plus une menace stratégique. Nous avons vaincu le terrorisme sanglant que Yasser Arafat a initié en 2000 avec la « deuxième Intifada ». Nous sommes ensuite parvenus, grâce à notre pouvoir de dissuasion, à mettre fin aux actions du Hezbollah, qui n'a pas osé lancer la moindre attaque contre nous depuis 2006. Last but not least : Tsahal a forcé le Hamas à stopper ses tirs de missiles sur les villes israéliennes - des tirs qui sont pratiquement inexistants depuis la bataille de Gaza en 2008-2009. Notre victoire sur Yasser Arafat est différente de nos autres succès. Nous avons réussi à réduire considérablement la capacité même d'Arafat à nous atteindre. Alors que, contre le Hezbollah et le Hamas, nous avons affecté leur volonté de tirer sur nous. Dissuader une organisation terroriste de passer à l'acte n'est pas chose aisée, mais Israël y est parvenu. L'efficacité de notre dissuasion peut être mesurée à l'aune de ce que nous avons vécu par le passé. Force est de constater que nous avons ramené le calme dans le nord du pays, en Galilée, comme dans le Sud, dans le Néguev. En revanche, l'efficacité à terme de la dissuasion est beaucoup plus difficile à évaluer : notre politique peut devenir inopérante du jour au lendemain dans la mesure où les moyens opérationnels des organisations terroristes restent intacts.
D. R. - Vous avez dirigé l'Aman (les services de renseignement de l'armée), qui fait partie, avec le Mossad et le Shin Bet, de la communauté du renseignement israélien (1). Pourquoi dit-on que ces services sont parmi les meilleurs au monde ?
A. Y. - Notre force repose entièrement sur les compétences de notre personnel. La recette de l'excellence fait appel à cinq ingrédients : 1) L'État d'Israël donne la priorité à sa communauté du renseignement pour tout ce qui concerne le recrutement des plus intelligents et des plus talentueux jeunes gens et jeunes femmes du pays. 2) La motivation : Israël doit faire face à des menaces gigantesques, et notre peuple sait combien le renseignement est crucial pour endiguer ces menaces. 3) Nous pouvons nous appuyer sur les avancées technologiques de notre pays et sur un état d'esprit tourné vers l'innovation qui nous …