Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA MOLDAVIE, LABORATOIRE DES RELATIONS EST-OUEST

Entretien avec Vlad Filat, Premier ministre de Moldavie depuis 2009. par Arielle Thédrel, Journaliste au Figaro

n° 132 - Été 2011

Vlad Filat Arielle Thédrel - Depuis deux ans, la Moldavie est privée de chef de l'État. Comment résoudre ce casse-tête ? Vlad Filat - Comme vous le savez, il manque deux voix à l'Alliance pour élire le président. Aucun député communiste n'ayant accepté de se rallier à nous, le processus est toujours bloqué. Nous poursuivons donc les négociations avec l'opposition communiste dans l'espoir de trouver un compromis, c'est-à-dire de s'accorder sur le nom d'un candidat neutre qui conviendrait à tout le monde. Une autre possibilité consisterait à réduire la majorité nécessaire à l'élection du chef de l'État. Ce qui exigerait un amendement constitutionnel. Mais, là encore, nous aurions besoin des voix communistes. Pour le moment, ils refusent de céder quoi que ce soit, mais ils pourraient changer d'attitude au vu des résultats des élections locales du 5 juin. A. T. - Que voulez-vous dire ? V. F. - Bien que la conjoncture ne soit pas facile, la population nous soutient. L'Alliance a obtenu un score susceptible de modifier le comportement des communistes, de les rendre plus flexibles, plus ouverts au dialogue (9). A. T. - L'absence de président handicape-t-elle votre action ? V. F. - Bien évidemment, cette crise est très regrettable ; mais il faut la relativiser. La Moldavie dispose d'un régime parlementaire assez proche de celui qui existe en Autriche. La Constitution accorde au chef de l'État des pouvoirs limités. Dans certaines circonstances exceptionnelles, par exemple si le Parlement est dans l'incapacité d'élire le nouveau chef de l'État, celui-ci peut procéder à une dissolution. Il peut aussi présenter la candidature du premier ministre et nommer les ambassadeurs, mais il ne les choisit pas. À l'époque de l'ex-président Vladimir Voronine (10), la situation était différente. Voronine gouvernait non pas en tant que président de la République, mais en tant que chef du parti majoritaire. Ce qui revient à dire qu'il concentrait tous les pouvoirs. Néanmoins, nous avons démontré, depuis le 25 septembre 2009, qu'il était possible de mener à bien notre programme de réformes. Nous avons surmonté la crise financière de 2008, les indicateurs économiques sont au vert et nous progressons dans le processus d'intégration européenne. Force est de constater que l'absence de président ne nous empêche pas de gouverner. L'élection d'un chef de l'État n'est donc pas une urgence, mais elle est nécessaire pour garantir la stabilité du pays et assurer la poursuite des réformes. Si nous ne parvenons pas à trouver un compromis, il faudra convoquer de nouvelles élections anticipées, ce qui créerait des problèmes supplémentaires. A. T. - Quelles sont les principales divergences qui s'expriment au sein de la coalition gouvernementale ? Éprouvez-vous des difficultés à maintenir une certaine unité ? V. F. - Je ne connais aucun gouvernement de coalition qui soit facile à diriger. L'Alliance pour l'intégration européenne est constituée de trois partis situés à droite, au centre droit et au centre gauche. Il est normal qu'un tel spectre polychrome suscite des débats et qu'existent entre nous des divergences de vues ; mais ce qui cimente cette coalition, c'est la perspective d'intégrer un jour l'Union européenne. Jusqu'ici, cet objectif l'a emporté sur nos désaccords. De toute façon, nous n'avons pas le choix. Nous sommes condamnés à nous entendre. Après tout, je préfère ce type de gouvernance compliqué plutôt qu'un régime autoritaire comme nous l'avons connu par le passé. A. T. - Une coalition avec les communistes est-elle envisageable ? V. F. - Je suis convaincu que la Moldavie doit intégrer le plus rapidement possible l'Union européenne. Les communistes, eux, ne font que simuler cette aspiration. C'est une posture. Leur véritable but, comme l'a démontré l'ancien président Vladimir Voronine, n'est pas d'intégrer l'Union mais de conserver ou de reconquérir le pouvoir. Les communistes ont gouverné pendant huit ans. Ce furent huit années perdues, car ils se sont révélés incapables d'engager de véritables réformes. En 1999, la Moldavie était plus avancée dans bien des domaines que certains pays tels que l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine ou la Macédoine. Si Vladimir Voronine avait poursuivi la politique lancée en 1998-1999, la Moldavie serait aujourd'hui beaucoup plus proche de l'Union européenne que ces trois États balkaniques qui, eux, ont déjà signé un accord d'association avec l'UE. Cela dit, il ne faut pas diaboliser les communistes. Il existe des gens responsables au sein de cette formation, et j'espère qu'ils se décideront très prochainement à agir dans l'intérêt du pays. A. T. - Vous dirigez le Parti libéral-démocrate (PLD). Quelles sont ses valeurs et ses références ? V. F. - C'est un parti de centre droit qui vient d'intégrer le Parti populaire européen. Disons qu'il est proche de l'UMP et qu'il se caractérise par son orientation résolument pro-européenne. Le PLD, que nous avons fondé en décembre 2007, a connu un succès fulgurant. Qui aurait cru qu'en trois ans et demi cette formation venue de nulle part deviendrait la principale composante de l'Alliance ? Aux législatives du 28 novembre dernier, elle a raflé un tiers des sièges à la Chambre des députés. C'était inespéré ! A. T. - Quelles sont les réformes dont vous êtes le plus fier et celles que vous peinez à réaliser ? V. F. - Il est un peu tôt pour dresser un bilan. Je vous citerai néanmoins les progrès que nous avons réalisés en matière de liberté de la presse. Compte tenu du rôle que jouent les médias dans le processus de démocratisation, il s'agit d'une grande avancée. Les citoyens moldaves ont aujourd'hui librement accès à l'information et les journalistes n'ont plus peur d'exprimer leur opinion. Nous avons également pris des mesures pour améliorer le climat des affaires - un domaine vital à nos yeux. La législation adoptée en matière d'investissements est l'une des plus libérales de la région. En revanche, la réforme de la justice se heurte à une très forte résistance. C'est le cas dans la plupart des pays d'Europe orientale, où règne encore un puissant esprit corporatiste. Mais je persévère, car cette réforme est incontournable si l'on veut bâtir une véritable démocratie. Bien sûr, il reste beaucoup à …