par
Antoine Jacob, journaliste indépendant couvrant les pays nordiques et baltes. Auteur, entre autres publications, de : Les Pays baltes, Lignes de repères, 2009 ; Histoire du prix Nobel, François Bourin Éditeur, 2012.
La curiosité à l'égard des États nordiques ne faiblit pas. Le 28 janvier 2011, au Forum économique mondial de Davos, le « modèle nordique » était à l'honneur, présenté par les dirigeants politiques de ces pays (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède) et décortiqué par un parterre d'experts et de décideurs. « Je ne crois pas qu'il soit possible de copier ce modèle, mais on peut fort bien s'en inspirer », lança à l'occasion le premier ministre norvégien Jens Stoltenberg, résumant ainsi un sentiment généralement partagé. Deux semaines plus tôt, les premiers ministres des pays nordiques - et ceux des pays baltes - étaient invités à Londres par leur homologue britannique, David Cameron, pour échanger expériences et idées en vue de mieux affronter les défis actuels et à venir. Les Nordiques, expliqua l'hôte conservateur, « disposent de certaines des compagnies high-tech les plus innovantes, de certaines des approches les plus radicales en matière de services publics et de certaines des meilleures idées sur la façon d'améliorer le bien-être général et la qualité de vie » (1). Cette réunion à neuf - la première du genre - devrait être suivie d'une seconde l'an prochain en Suède. Le fait est que, bon an mal an, les pays nordiques font preuve d'un dynamisme qui ne passe pas inaperçu. Hormis l'Islande - un cas à part (2) - ils ont limité les dégâts durant la crise financière de 2008, non sans avoir tiré les leçons de la crise précédente qui les avaient touchés, pour certains (Danemark, Norvège) dès les années 1980, pour d'autres (Suède, Finlande) dans la première moitié des années 1990. De nos jours, la Suède affiche des résultats particulièrement brillants en termes de croissance et d'équilibre budgétaire (3). La Finlande et le Danemark sont plus lents à rebondir, mais les prévisions sont plutôt optimistes, à condition toutefois que la reprise mondiale ait bien lieu (4). Quant à la Norvège, elle a pu s'appuyer sur ses importantes ressources en hydrocarbures pour surmonter les difficultés. Tout n'est pas rose, notamment en matière d'emploi (5). Pourtant, dans l'ensemble, les pays nordiques s'en tirent plutôt bien. Les modèles sociaux façonnés sous les latitudes septentrionales résistent, même s'ils sont soumis à plus de tensions qu'auparavant. La recherche du consensus reste la colonne vertébrale de sociétés sensiblement comparables, à défaut d'être identiques. Le dialogue entre syndicats et employeurs fonctionne peu ou prou, malgré une lente érosion du taux d'adhésion syndicale. Les alternances politiques entre centre gauche et centre droit n'ont pas fondamentalement remis en cause le principe d'un État-providence financé par une forte fiscalité. Enfin, les secteurs publics - allégés au fil du temps mais toujours importants - coexistent avec des secteurs privés concurrentiels, d'autant plus choyés par les autorités politiques que leur bonne santé est primordiale pour ces petites économies très dépendantes des exportations. Dans ce contexte, les pays nordiques ne seraient-ils pas bien avisés d'unir davantage leurs forces pour mieux faire entendre leurs voix sur la scène internationale et pour y faire prévaloir leurs intérêts communs ? La question est relancée depuis la publication, en novembre 2010, d'un livre appelant ni plus ni moins à la formation d'un État fédéral nordique. À en croire l'auteur, l'historien suédois Gunnar Wetterberg, une telle hypothèse est réalisable d'ici quinze à vingt ans. Quels sont ses arguments ? Quelles réactions ont-ils suscité ? Quelles sont les limites d'une telle proposition un brin provocatrice ? Comment est organisée la coopération nordique et sur quelles bases historiques ? Et, pour conclure, l'intégration nordique peut-elle être poussée plus avant ? Un État fédéral nordique ? Historien passé par la diplomatie et diverses organisations suédoises (6), Gunnar Wetterberg n'en est pas à sa première initiative dans le domaine. Le 27 octobre 2009, il avait publié une tribune remarquée dans le quotidien libéral suédois Dagens Nyheter. Son titre, « Les cinq États nordiques doivent se rassembler au sein d'une nouvelle union », faisait allusion à l'Union de Kalmar (du nom du port suédois où elle fut signée en 1397), qui regroupa les royaumes du Danemark, de Norvège et de Suède jusqu'en 1523. Les nombreuses réactions que provoqua cet appel incitèrent le Conseil nordique - la principale instance de coopération régionale - à commander un livre à Gunnar Wetterberg afin qu'il puisse approfondir sa réflexion et alimenter le débat. Le résultat ? L'État fédéral Nord (en suédois Förbundsstaten Norden), un ouvrage (7) en forme de plaidoyer pour une « utopie réaliste » qui peut se résumer de la façon suivante. Les pays nordiques ont une culture et une histoire entrelacées. La plupart des habitants peuvent se faire comprendre mutuellement dans l'une des langues de la région. Ils partagent des valeurs communes, une façon de vivre en société où l'enfant est roi et où la place de la femme n'est pas au foyer. Les économies des pays nordiques sont devenues de plus en plus dépendantes les unes des autres grâce au commerce, aux investissements, aux participations croisées et à un marché du travail commun. Et pourtant, ces États continuent à exister comme entités séparées, alors qu'ils gagneraient à se rassembler sous une seule et même structure fédérale. Ils pèseraient alors d'un tout autre poids qu'actuellement. Avec quelque 25 millions d'habitants et un PNB total qui les placerait parmi « les dix à douze plus grandes économies du monde », ils pourraient même siéger au G20 (8). Ainsi raisonne Gunnar Wetterberg. Selon lui, le moment est propice à un rapprochement. Les « grandes puissances extérieures » qui, jadis, ont entravé un tel processus - il s'agit, nous le verrons plus tard, de la Ligue hanséatique, de la Prusse, de la Russie puis de l'Union soviétique - laissent désormais les pays d'Europe du Nord agir à leur guise. À eux de saisir l'occasion. Une fédération contribuerait à faire du nord de l'Europe un marché intérieur plus intégré, à faciliter le recrutement par les entreprises d'une main-d'oeuvre locale adaptée, à rendre la région plus attractive pour les travailleurs étrangers qualifiés, à consolider les structures économiques déjà en place, à donner …
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