Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA VOIE FLAMANDE

Entretien avec Bart de Wever par Martin Buxant

n° 132 - Été 2011

Bart de Wever Martin Buxant - Vous êtes issu d'une famille flamande modeste. Comment êtes-vous devenu ce que vous êtes ?
Bart De Wever - Sauf erreur, le président français, Nicolas Sarkozy, est lui aussi issu d'une famille modeste ; mais à force de conviction, d'intelligence et de travail, il a su devenir le premier personnage de l'État. Personnellement, j'ai beaucoup d'admiration pour Cicéron - un homme qui ne comptait aucun patricien, aucun sénateur, dans sa famille. De ce point de vue, nous sommes comparables ! La vraie explication de mon succès, c'est la démocratie. Le fait que j'aie pu parvenir à ce niveau prouve que la démocratie fonctionne. Mon avantage, c'est que je viens de la classe moyenne : je sais donc parfaitement comment celle-ci pense. Je connais la vie « normale » des gens, je ne suis pas le rejeton d'une famille qui livre des hommes politiques au pays depuis des générations ou qui aurait eu beaucoup d'argent.
M. B. - Est-ce que ces origines modestes signifient que vous avez dû énormément travailler durant votre scolarité ?
B. D. W. - J'ai étudié le latin et le grec au lycée, une filière classique. Ensuite, je suis devenu historien : j'ai étudié à l'université d'Anvers et de Louvain. J'ai été diplômé avec la plus grande distinction, ce qui m'a permis de devenir chercheur à l'université de Louvain. J'ai suivi le chemin de mon frère qui était déjà professeur à l'université. J'ai travaillé en tant que chercheur durant cinq ans ; mais l'attrait de la vie académique s'est progressivement étiolé. Le penseur Edmund Burke a dit un jour : « La vie universitaire est comparable à celle d'un bateau qui est perpétuellement en cale sèche et ne prend jamais la mer. » J'ai été gagné par ce sentiment. Reste que ce poste m'a permis d'étudier des concepts qui sont encore très importants pour moi comme la nation, l'identité, les nationalismes. C'était ma spécialité. Ma thèse de doctorat était consacrée au mouvement flamand, mais je ne l'ai jamais terminée. En tout cas, les années que j'ai passées à l'université ont forgé ma pensée. Ce que j'ai appris à l'université, je l'ai mis en pratique à la N-VA, puisque j'ai présidé le Congrès fondateur qui a adopté les statuts de notre formation.
M. B. - À quand votre engagement nationaliste flamand remonte-t-il ?
B. D. W. - Il m'est impossible de répondre à cette question. Certaines personnes peuvent dire précisément quand est née leur conscience politique ; pas moi. Cet engagement a toujours été présent dans ma famille. Ma carte de membre du parti flamand - la Volksunie -, c'est mon père qui me l'a offerte... à ma naissance ! À la maison, on ne parlait que de politique. On ne parlait même pas de football ! Vers l'âge de seize ans, je suis devenu militant actif du parti, mais je suis vraiment entré en politique après avoir terminé mes études universitaires. De simple militant, je suis devenu membre des comités de gestion. Puis, en 1996, je suis devenu mandataire. J'ai grimpé les échelons et, en 1999, j'ai intégré le bureau national du parti. En 2004, j'ai été élu député. Mais je n'ai pourtant jamais eu l'intention de devenir politicien « professionnel ». Au contraire, même : j'ai toujours eu comme idée fixe de ne pas être dépendant de la politique. Et c'est l'exact contraire qui s'est produit !
M. B. - Indépendamment de votre militantisme nationaliste flamand, où vous situez-vous sur le spectre politique gauche/droite ?
B. D. W. - Je suis très clairement au centre droit de l'échiquier politique et je me considère plutôt comme un conservateur. C'est un terme qui admet plusieurs définitions. Voici la mienne : j'entends par là que je ne me focalise pas sur l'individu ou sur l'État mais sur la société. Je crois en la force de la société et de la communauté. Je pense que l'on doit laisser le maximum de liberté aux gens, une liberté « saine » encadrée par la responsabilité vis-à-vis de la communauté. Comprenez-moi bien : je ne prône pas la liberté de faire n'importe quoi. Je pense que la force d'une société, ce sont tous les liens que les gens entretiennent librement entre eux - à travers la famille, l'école, le quartier, les associations... Le réseau civil doit être très fort, et il n'incombe certainement pas à l'État de s'y substituer. Je suis totalement anti-étatiste ! Pour autant, je ne suis pas un libéral classique qui pense que l'individu est libre sans aucune limite. Je ne crois pas, comme les libéraux, que la juxtaposition d'individus libres donne une société heureuse. Un tel modèle ne fonctionne pas ! Sur le plan économique, je m'entends plutôt bien avec des gens qui sont des libéraux modérés. Pas des néo-libéraux ou des ultra-libéraux. En revanche, sur le plan de la société, je suis plutôt conservateur : une société doit produire des valeurs pour se déterminer. Mais ces valeurs doivent évoluer. Elles ne peuvent pas demeurer éternellement figées.
M. B. - Pouvez-vous préciser votre pensée sur ce dernier point ?
B. D. W. - Certains conservateurs sont entièrement tournés vers le passé et pensent que les valeurs de leurs grands-parents étaient nécessairement les bonnes. Je ne partage pas cette vision des choses. Ce qui est important, c'est qu'une société puisse produire des normes adaptées à son époque, que l'individu ne soit pas laissé seul sans limites, avec une liberté totale. Les valeurs doivent être en perpétuelle évolution. La façon dont on regarde un homosexuel aujourd'hui n'est pas la même qu'il y a quarante ans. Et c'est normal.
M. B. - Mais il y a tout de même un paradoxe entre, d'un côté, se proclamer conservateur comme vous le faites et, de l'autre côté, prôner des avancées éthiques et des normes adaptées à chaque époque...
B. D. W. - Disons que je suis un conservateur modéré, un humaniste. Je n'ai pas d'autre mot pour désigner ma position. Je vous ai déjà dit que j'admirais Cicéron. Lui aussi était …