Entretien avec
Elio Di Rupo, Président du Parti socialiste belge depuis 1999.
par
Luc Rosenzweig
n° 132 - Été 2011
Luc Rosenzweig - Vous êtes un enfant d'immigré élevé dans une famille nombreuse et économiquement défavorisée du Borinage. Comment vous êtes-vous hissé au sommet de la politique belge ? Elio Di Rupo - Adolescent, j'étais mauvais élève. J'étais mal dans ma peau. Mon père, décédé quand j'avais un an, me manquait terriblement. Par la suite, j'ai eu la chance immense de croiser, dans mon parcours scolaire, un homme d'une qualité extraordinaire - le professeur de chimie Franz Aubry - qui a cru en moi et m'a rendu confiance en mes capacités. Plus tard, j'ai pu poursuivre mes études grâce, notamment, au soutien affectif que m'a prodigué ma mère. Malgré toutes ses difficultés (elle est restée veuve avec sept enfants), elle a compris que les études pouvaient me sortir de la condition sociale dans laquelle nous nous trouvions. La suite, vous la connaissez : j'ai travaillé sans compter, parfois jour et nuit, en Belgique et en Grande-Bretagne, pour réussir mes études (1). J'ai ensuite eu la possibilité de me rendre aux États-Unis pour continuer mes études mais je n'ai pu résister à la proposition d'entrer dans un cabinet ministériel. L. R. - Avez-vous été, au cours de votre parcours scolaire et politique, victime de discriminations en raison de vos origines ? E. D. R. - À l'époque, dans la région du Centre (2), j'étais loin d'être le seul fils d'immigré italien. Je n'ai gardé aucun souvenir de moqueries ou de discriminations. J'ai toujours été très reconnaissant de l'accueil que ma famille a reçu en Belgique. C'est une chance inouïe, en venant de rien, d'avoir eu l'occasion de faire des études de haut niveau. L. R. - De quand date votre engagement à gauche ? Qu'est-ce qui a été déterminant dans ce choix ? E. D. R. - Dès ma prise de conscience politique, vers l'âge de dix-sept ans, je me suis tout naturellement considéré comme étant « de gauche ». Mes premières expériences de terrain, c'est à l'Université de Mons que je les ai vécues, comme délégué des étudiants. J'étais un peu le syndicaliste de service et je me suis rendu compte, alors, à quel point il était important de s'organiser pour améliorer les choses. En fait, mon engagement politique vient de là, de cette volonté, très concrète, d'améliorer les conditions de vie de mes semblables. Il est probable que les conditions sociales très difficiles dans lesquelles j'ai grandi expliquent cet aspect de ma personnalité... L. R. - Existe-t-il, parmi les hommes politiques du passé - en Belgique ou à l'étranger -, des personnalités qui vous servent de modèle, ou pour lesquelles vous éprouvez une admiration particulière ? Si oui, pour quelles raisons ? E. D. R. - Je n'ai pas de modèle à proprement parler. Mais j'ai toujours eu une très grande estime pour les modes de pensée et le comportement de personnalités comme Gandhi ou Nelson Mandela. François Mitterrand constitue, lui aussi, un personnage de référence. Il incarnait à la fois un socialisme profondément ancré dans le terroir, dans la population dont il était l'élu, et une ouverture à la dimension internationale sans laquelle il n'y a pas de progrès possible aujourd'hui. C'était, en outre, un homme de lettres, un homme de culture nourri de grandes références, quelqu'un qui faisait de la politique avec un vrai sens de l'Histoire. L. R. - Si l'on vous interroge sur votre identité, dans quel ordre placez-vous les indications d'origine suivantes : Belgique, Italie, Europe, Mons, Wallonie ? E. D. R. - Je me sens belge d'abord ! J'aime ce pays qui permet à chaque personne, quelles que soient ses origines sociales, d'être tirée vers le haut, d'oser croire en des lendemains meilleurs. Je suis, également, très attaché à ma région, la Wallonie. Les Wallons sont des gens extraordinaires, chaleureux et très talentueux. Et, bien sûr, j'éprouve une affection particulière pour ma ville, Mons. Quand je me promène dans les rues de Mons, que je discute avec les Montoises et les Montois, j'ai vraiment le sentiment d'être « à la maison ». Mon attachement à l'Italie est tout autre : j'y vais régulièrement pour me ressourcer auprès de ma famille, j'aime son vin, sa cuisine, ses paysages... mais je reste belge avant tout. Quant à l'Europe, c'est notre maison commune ! L. R. - Vous étiez, au mois de mai 2011, le seul candidat à votre succession au poste de président du PS. Cela signifie-t-il que le parti est unanime sur tous les sujets ? Existe-t-il des courants, comme au sein du PS français ? E. D. R. - Il existe des sensibilités diverses mais pas de « courants » structurés comme tels. Il ne faudrait pas croire, pour autant, que nous soyons unanimes sur tout. Comme dans toutes les formations politiques, il y a parfois des sensibilités différentes, voire des divergences. Mais il existe une vraie culture du dialogue au PS. Même quand la situation est difficile, on est capable de se parler et, surtout, de s'entendre, de respecter le point de vue d'autrui. Je veux aussi souligner que nous sommes parfaitement conscients des attentes immenses de la population à notre égard. Notre responsabilité est d'apporter aux citoyens des réponses concrètes et un projet d'avenir, et certainement pas de se perdre dans des guerres internes. Nos 90 000 militants sont, d'ailleurs, très engagés dans la vie du parti. L. R. - Dans les deux dernières décennies, le PS belge n'a pas été épargné par les scandales, la corruption de certains dirigeants et même par des affaires criminelles comme l'assassinat d'André Cools (3). Cette page est-elle définitivement tournée ? Quels garde-fous avez-vous mis en place pour que cela ne se reproduise plus ? E. D. R. - Au cours des deux dernières décennies, le PS, grâce à sa participation aux gouvernements fédéraux et régionaux, a surtout été le grand artisan de la consolidation de notre sécurité sociale, qui constitue une référence dans le monde. Par surcroît, ces dix dernières années, le PS a mis en place une série d'outils destinés à améliorer son …
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