Entretien avec
Ben Simpfendorfer, Économiste.
par
Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris
n° 132 - Été 2011
Baudouin Bollaert - Quand vous parlez d'une « nouvelle route de la soie », qu'entendez-vous par là ? Ben Simpfendorfer - La nouvelle route de la soie est beaucoup plus importante que l'ancienne. Elle s'étend du nord de l'Asie au nord de l'Afrique. Ses ramifications vont du Caire, de Damas ou de Riyad aux villes-marchés de la Chine entière, y compris Pékin. Au total, elle couvre 47 États (2). Tous sont liés par l'histoire, les religions, la culture et, bien entendu, des échanges commerciaux de plus en plus intenses. J'y inclus, en particulier, les Philippines, étant donné la part importante de travailleurs philippins installés au Moyen-Orient. J'y ai également placé l'Arabie saoudite en raison du poids de ses exportations de pétrole vers la Chine. La nouvelle route de la soie est, par surcroît, devenue une route maritime de premier plan comme le montrent les porte-conteneurs qui naviguent entre Dubaï et Guangzhou. Ils ont remplacé, en quelque sorte, les chameaux qui voyageaient jadis entre Xian et Damas... B. B. - L'Empire du milieu a retrouvé sa place centrale dans le monde. On peut même dire, aujourd'hui, que tous les chemins mènent à la Chine... En quoi les relations entre Pékin et le monde arabe se singularisent-elles ? B. S. - Si le pétrole se trouve évidemment au coeur de ces relations, les rapports entre les peuples et les échanges entre négociants sont tout aussi primordiaux. Quelques exemples : la ville côtière chinoise de Yiwu, sorte de foire permanente, incroyablement dynamique, est spécifiquement tournée vers le monde arabe ; des commerçants chinois ont construit des « chinatowns » à Damas, à Dubaï et même à Riyad ; pour la première fois, de nombreux ménages arabes sont en mesure d'acheter des biens de consommation courante - comme des téléviseurs à écran plasma, des climatiseurs ou des caméras - grâce aux importations de produits chinois bon marché... Tous ces éléments illustrent la place grandissante de la Chine au Moyen-Orient. B. B. - Quelles sont les entreprises chinoises les plus actives et où se trouvent-elles ? B. S. - Elles sont installées en Algérie, en Libye, au Yémen, en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis. Ce sont la China State Construction Engineering Company, la China Harbour Engineering Company, la China National Petroleum Company ou encore Sinopec (China Petrochemical Corporation). Elles sont spécialisées dans le bâtiment et la construction d'infrastructures (ports, routes, aéroports) comme dans les hydrocarbures. Même si sur certains projets politiquement importants elles peuvent soumissionner à des prix volontairement bas, elles agissent en général sur la base de stricts intérêts commerciaux, car les marges de profit sont élevées dans les pays arabes que je viens de citer. B. B. - Quelle est la taille de la diaspora chinoise dans le monde arabe ? B. S. - Il n'y a pas de données précises. Mais la plupart des Chinois vivent aux Émirats arabes unis, en Libye et en Algérie. On estime à 200 000 le nombre de Chinois résidant dans les Émirats arabes unis. Environ 50 000 d'entre eux sont des commerçants ; les autres sont manoeuvres. Il y en avait 30 000 environ en Libye avant la crise ; et ils seraient 35 000 en Algérie. Mais ces chiffres risquent de diminuer à cause des événements du « printemps arabe » même si, comme j'ai l'habitude le dire, les Chinois s'exportent bien ! Beaucoup d'entre eux vivent par petits groupes, en général formés de quelques centaines ou quelques milliers d'individus disséminés dans différentes villes du Moyen-Orient, voire au milieu de nulle part... B. B. - Combien y a-t-il de Chinois musulmans ? Et quel rôle jouent-ils dans la croissance des échanges avec le Moyen-Orient ? B. S. - La population musulmane en Chine est officiellement de 20 millions de personnes. Mais, selon des estimations officieuses, ce chiffre serait beaucoup plus élevé. Il y aurait 35 000 mosquées dans le pays ! Par ailleurs, on sait que le pouvoir central tolère le rite de la nourriture hallal. Cela ne l'empêche pas de se heurter (3) parfois violemment à la minorité musulmane des Ouïgours (8 millions d'âmes environ), sans conséquence apparente sur son image au Moyen-Orient. Dans cette partie du monde, la Chine apparaît toujours comme un modèle de développement économique et de stabilité sociale. La situation est certes mouvante, des troubles sociaux éclatant ici ou là... Mais les succès économiques chinois, notamment en termes de croissance et de créations d'emplois, restent très attractifs aux yeux des opinions arabes. La Chine s'efforce d'adapter sa politique au cas par cas et agit, me semble-t-il, plus efficacement que l'Europe ou les États-Unis. Elle forme des dignitaires arabophones depuis des dizaines d'années. De nombreux musulmans chinois apprennent l'arabe et travaillent comme traducteurs. On peut louer en Chine les services d'un interprète chinois parlant l'arabe pour moins de 30 dollars par jour. Il ne suffit plus de parler l'anglais pour répondre à l'évolution du monde actuel... B. B. - L'islam est-il indissociable de la nouvelle route de la soie ? B. S. - Trente des quarante-sept pays qui la composent ont une population à majorité musulmane, et beaucoup d'autres (dont la Chine, l'Inde, Singapour et la Thaïlande) ont des populations musulmanes certes minoritaires, mais importantes. La nouvelle route de la soie représente 80 % de la population musulmane dans le monde. Étant donné que le Coran a des vues particulières sur la façon de faire du business, et compte tenu des liens commerciaux historiques entre les économies musulmanes, on peut dire que, effectivement, l'islam est un maillon essentiel de la nouvelle route de la soie. B. B. - Existe-t-il une stratégie spécifique des Chinois au Moyen-Orient ? B. S. - La Chine n'a pas au Moyen-Orient de stratégie délibérée comme peuvent en avoir l'Europe ou les États-Unis. Ce sont les commerçants et les entrepreneurs chinois qui, de façon non concertée, ont conduit le régime de Pékin à s'impliquer dans la région. Le gouvernement a privilégié jusqu'à présent l'économie par rapport au reste car il juge qu'il n'y a …
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