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L'IMAGE BROUILLEE DU PAKISTAN...

Entretien avec Yousouf Raza gilani, Premier ministre du Pakistan depuis le 25 mars 2008. par Emmanuel Derville, Journaliste indépendant, correspondant du Point et de Politique Internationale au Pakistan.

n° 132 - Été 2011

Yousouf Raza gilani Emmanuel Derville - Étiez-vous au courant de l'opération américaine visant à tuer Oussama Ben Laden ? Yousouf Raza Gilani - Oui, j'étais au courant (2). Dans les heures qui ont suivi, j'ai multiplié les réunions avec le chef d'état-major de l'armée, le général Kayani, mais aussi avec le président et les chefs des services de renseignement. Je vous avoue que je n'ai pas dormi de la nuit ! E. D. - Quel rôle les services secrets pakistanais ont-ils joué dans l'assassinat de Ben Laden ? Leur aide a-t-elle été utile ? Y. R. G. - Bien sûr. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nos services de renseignement, en particulier l'ISI, collaborent avec les agences de sécurité américaines. La mort de Ben Laden est une bonne nouvelle pour le monde entier. E. D. - Pourtant, ces derniers mois, les relations entre la CIA et l'ISI se sont détériorées après l'interpellation de l'espion américain Raymond Davis au Pakistan (3)... Y. R. G. - C'est exact. Mais les relations entre les deux agences ne peuvent pas être prises en otage par un seul incident. Il faut continuer à coopérer. E. D. - L'attentat contre les ingénieurs français à Karachi en 2002 a longtemps été imputé à un groupe terroriste islamique. En France, où cette thèse est très critiquée, on évoque la piste de rétro-commissions qui n'auraient pas été versées. Quelles informations pouvez-vous donner aux familles des victimes ? Y. R. G. - Je n'étais pas au pouvoir au moment des faits. Je me trouvais alors en prison parce que j'étais un opposant au régime de Moucharraf. Par conséquent, je n'ai joué aucun rôle à l'époque. Mais je suis convaincu que ces hommes n'ont pas été tués à cause d'une histoire de pots-de-vin qui a mal tourné. Ils ont été la cible de terroristes islamistes. E. D. - Le Pakistan a une image désastreuse dans l'opinion publique française. Comment comptez-vous y remédier ? Y. R. G. - Cette mauvaise image ne nous empêche pas d'avoir de bonnes relations avec le gouvernement français. Nous considérons la France comme un pays qui compte en Europe et dans le monde. Nous voulons resserrer nos liens. D'ailleurs, en 2010, j'avais planifié deux visites officielles à Paris que j'ai dû annuler, d'abord à la suite de l'irruption d'un volcan islandais qui avait cloué les avions au sol, puis à cause des inondations (4). Mais je tenais à cette visite, et c'est pour cette raison que je me suis rendu en France en mai dernier. E. D. - Durant votre séjour parisien, vous avez rencontré des représentants du Medef. Comment convaincre les investisseurs français de venir au Pakistan ? Y. R. G. - Les entreprises ne doivent pas avoir peur. Après tout, plusieurs multinationales sont présentes au Pakistan (5) et nous sommes en mesure d'assurer leur sécurité. À l'issue de ma visite, la France et le Pakistan ont signé un accord portant sur la création d'un Conseil des chefs d'entreprise franco-pakistanais qui sera chargé, comme son nom l'indique, de renforcer la coopération entre les entreprises de nos deux pays (6). E. D. - Vous appelez de vos voeux un partenariat avec la France dans le domaine du nucléaire civil. Jusqu'à présent, Paris se montre très réticent. Sans doute les dirigeants français ont-ils en tête les exploits du docteur A. Q. Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise, qui avait vendu des informations hautement sensibles à la Libye et à la Corée du Nord. Peuvent-ils changer d'avis ? Y. R. G. - Laissez-moi vous dire plusieurs choses. D'abord, des régions entières de notre pays sont privées de courant pendant plusieurs heures par jour, ce qui paralyse l'industrie et accroît le chômage technique. Nous avons absolument besoin d'augmenter notre production d'électricité. Il y va de la stabilité du Pakistan. Ensuite, alors que l'Inde n'est pas signataire du Traité de non-prolifération, elle a conclu des accords de coopération nucléaire avec la France et les États-Unis. Pourquoi le Pakistan, qui lui non plus n'a pas signé le TNP, ne pourrait-il pas le faire ? Je vous rappelle que l'arsenal nucléaire est sous ma responsabilité, pas sous celle des militaires (7). Il est entre de bonnes mains. E. D. - En 2010, le gouvernement français s'est opposé à la fourniture par Thalès de radars destinés à équiper les avions de combat JF-17 fabriqués au Pakistan avec l'aide de la Chine. Faut-il y voir un signe supplémentaire des tensions entre les deux pays ? Y. R. G. - Nous souhaitons intensifier notre coopération avec la France dans le secteur de l'armement - et c'est aussi pour cette raison que j'encourage les investisseurs à venir au Pakistan. Nous nous sommes également mis d'accord pour créer une commission en matière de sécurité (8). Mais je concentre surtout mes efforts sur la coopération dans les domaines civils : les infrastructures, l'agriculture, l'énergie. E. D. - Les talibans qui combattent les soldats français basés en Afghanistan viennent, pour la plupart, du Nord-Waziristan, une région située dans les zones tribales pakistanaises. Que pouvez-vous faire pour aider la France sur le terrain ? Y. R. G. - Vous avez l'air de sous-entendre que nous resterions inactifs dans la lutte contre le terrorisme. Ce n'est pas le cas : nous combattons sur notre propre sol et il y a eu plus de soldats pakistanais tués durant cette guerre que de soldats occidentaux. J'ajoute, pour ce qui est du terrain afghan, que nos services de renseignement coopèrent pleinement avec l'Otan. Nous avons la même stratégie. La communauté internationale doit reconnaître notre implication. E. D. - L'armée pakistanaise va-t-elle intervenir au Nord-Waziristan, comme le souhaite le ministère français de la Défense ? Y. R. G. - Ce n'est pas aussi simple. Tout d'abord, nous avons réussi à créer un consensus de tous les partis politiques dans la lutte contre le terrorisme. C'est fondamental parce qu'on ne peut pas gagner sans le soutien de l'opinion publique. Du coup, lorsque l'armée a attaqué les fiefs talibans de la vallée de Swat, dans le …