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PORTUGAL : LE TEMPS DES SACRIFICES

Entretien avec Pedro Passos Coelho, premier ministre du Portugal depuis le 15 juin 2011, par Michel Faure, Grand reporter à L'Express

n° 132 - Été 2011

Pedro Passos Coelho Michel Faure - Monsieur le premier ministre, comment le Portugal en est-il arrivé à solliciter une aide de 78 milliards d'euros auprès du FMI et de l'Europe pour éviter la faillite ?
Pedro Passos Coelho - Le Portugal en est arrivé là parce qu'il souffre de trois déséquilibres. Pendant de trop nombreuses années, notre pays a été soumis à de mauvaises politiques qui sont la cause du niveau excessif de nos dépenses publiques. Le deuxième déséquilibre tient au fait qu'il ne s'agit pas seulement de la dette de l'État qui s'accumule, déficit après déficit, mais aussi des dettes générées par toute une série de projets associant le secteur public et le secteur privé (1). Ils ont souvent abouti à des résultats absurdes. Nous avons, par exemple, financé un réseau d'autoroutes parmi les plus denses d'Europe, sur lequel s'écoule l'un des trafics automobiles les plus fluides du continent ! Le troisième déséquilibre, enfin, qui s'est accentué au cours des quinze dernières années, est celui de notre endettement extérieur. En 1995, cette dette représentait 10 % du PIB ; elle s'élève aujourd'hui à 110 % de ce même PIB. Ce chiffre traduit le manque de compétitivité du pays. M. F. - La situation économique difficile que vous nous dépeignez est-elle seulement une affaire technique de déséquilibres, ou est-elle aussi le symptôme de quelque chose de plus profond ? Pour parler sans détour : les Portugais n'ont-ils pas développé une culture de la dépendance vis-à-vis de l'État ? P. P. C. - Non, notre situation n'a pas d'origine culturelle. Elle est seulement l'effet de politiques inadaptées. Nous avions besoin, notamment après notre adhésion à la zone euro, de réformes structurelles qui n'ont pas été réalisées ; et nous aurions dû mieux évaluer les conséquences de ces grands partenariats public-privé que j'évoquais il y a un instant.
M. F. - Que leur reprochez-vous au juste ?
P. P. C. - Je n'ai aucun préjugé à l'égard de ces partenariats qui peuvent être de bons instruments. Mais l'État portugais en a abusé ; il s'est parfois trompé et n'a pas fait les meilleurs choix en termes d'investissements productifs, au détriment des comptes publics. Les taux de recouvrement ont été trop faibles pour assurer la rentabilité de certaines infrastructures. Dans cette affaire, on n'a pas obéi aux règles du rapport entre coûts et bénéfices. L'État a offert de trop fortes garanties. Même dans de tels partenariats, le secteur privé doit prendre des risques, ce qui n'a pas toujours été le cas. Il s'est souvent concentré sur ces projets aux dépens d'autres investissements que réclamait pourtant le marché et qui auraient été plus productifs. À cet égard, la responsabilité politique de mes prédécesseurs est clairement engagée.
M. F. - Ces partenariats ont-ils été une source de corruption ?
P. P. C. - Je ne dispose pas d'éléments qui permettent de répondre à cette question. Ce que je sais, c'est que les contrats ont reçu l'aval de la Cour des comptes, et qu'ils n'ont fait l'objet d'aucune plainte en justice.
M. F. - Votre parti, le PSD, a gagné les élections du 5 juin, et vous voilà contraint d'appliquer une politique que vous n'avez pas définie vous-même. Cette politique a été négociée par le précédent gouvernement socialiste de José Socrates avec la troïka : le FMI, la Banque centrale européenne et l'Union européenne. Comment percevez-vous cette situation ?
P. P. C. - Le PSD s'est engagé, par écrit, à respecter point par point le mémorandum issu de cette négociation. Dans sa lettre, il a cependant précisé qu'il était favorable à une certaine souplesse dans le choix des moyens à mettre en oeuvre. Notre volonté, je le répète, est de respecter les objectifs tels qu'ils ont été fixés...
M. F. - ... Lesquels sont très contraignants. Pour 2011 et 2012, les perspectives restent bien sombres : selon toutes les analyses, qu'elles proviennent de la Commission européenne, de l'OCDE ou de la Banque du Portugal, l'économie portugaise va se contracter, au moins jusqu'à 2013 ; le pouvoir d'achat et la consommation, privée mais aussi publique, vont baisser, et le chômage augmenter. Face à ces prévisions peu réjouissantes, vous dites vouloir aller « au-delà » de l'accord de la troïka. Pourquoi et comment ?
P. P. C. - Aller au-delà de l'accord signifie qu'on peut aller plus loin sans pour autant aggraver la cure d'austérité que subit le Portugal depuis déjà une année. L'objectif, c'est de réduire les déficits et d'augmenter les recettes fiscales. À cela, il n'existe pas d'alternative. Il nous faut donc sélectionner de façon précise les coupes à effectuer dans les dépenses publiques et mettre en place des réformes, en particulier dans le domaine social, plus audacieuses que celles qui sont prévues. Il nous faut être plus efficaces, introduire plus de concurrence, notamment entre les divers organismes qui distribuent les prestations sociales (2), sans porter atteinte à ceux qui en dépendent le plus. Ces prestations doivent être modulées en fonction des revenus des citoyens.
M. F. - Réduire les dépenses publiques et augmenter les rentrées fiscales : la recette n'est pas facile à appliquer en période de récession. Comment comptez-vous répondre à ce défi ?
P. P. C. - Une partie de la demande interne va stagner, mais on peut espérer qu'une augmentation de la demande extérieure nous offrira une compensation en termes de revenus. Il nous faut redonner confiance aux investisseurs étrangers, et, pour cela, il est nécessaire de réformer le fonctionnement de la justice. Il y a actuellement deux millions de procédures judiciaires en attente, tous contentieux confondus. Cette lenteur a un impact économique considérable. Personne n'a envie d'investir dans un pays où la justice ne résout pas rapidement les litiges. Pour attirer plus d'investissements, il nous faut aussi réformer le marché du travail dans le sens d'une plus grande flexibilité. C'est l'une des pistes mentionnées dans le mémorandum de la troïka ; mais, avec de la concertation sociale - je pense à un « contrat social » qui engagerait le gouvernement, les employeurs et les …