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CRISE: LE CREDO ALLEMAND

Entretien avec Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances depuis 2009, par Jean-Paul Picaper, responsable du bureau allemand de Politique Internationale.

n° 133 - Automne 2011

Wolfgang Schäuble
Jean-Paul Picaper - Monsieur le Ministre, vous avez récemment déclaré, lors d'une conférence réunissant des prix Nobel d'économie tenue à Saint-Gall, en Suisse, que l'économie mondiale allait connaître sept années de vaches maigres. Êtes-vous bien certain que cette période durera sept ans ? C'est un chiffre magique...
Wolfgang Schäuble - J'ai expliqué, ce jour-là, que surmonter les difficultés qui frappent l'économie mondiale prendrait du temps. Nous autres, membres de la zone euro, ne sommes pas les seuls à avoir des problèmes. L'Amérique est, elle aussi, concernée. En termes de croissance, l'économie allemande a mis peu de temps à surmonter la récession qui a suivi la crise financière. Mais la croissance n'est pas tout. Entre autres tâches, il nous faut fondamentalement repenser la régulation des marchés financiers - et cette régulation doit être significativement plus stricte qu'avant 2008. Ce travail ne se fera pas du jour au lendemain. C'est pourquoi j'ai dit qu'on pouvait citer à ce propos l'allégorie biblique liée à ce chiffre. La remise sur les rails de l'économie mondiale peut prendre sept ans, peut-être plus, peut-être moins. Ce n'était pas une prophétie ! Ce que nous souhaitons, voyez-vous, c'est une croissance durable. De plus, nous ne devons pas faire l'erreur de penser qu'un retour à une croissance forte est la seule manière de résoudre les problèmes d'endettement de l'État auxquels de nombreux pays industrialisés sont à présent confrontés. Je suis favorable à une croissance soutenue, sans pour autant la considérer comme une solution facile qui nous permettrait d'éviter les changements structurels nécessaires à la résorption des déficits. Au contraire, c'est la baisse des déficits qui est la clé d'une croissance soutenue.
J.-P. P. - Cette réduction des déficits que vous appelez de vos voeux passe-t-elle par des économies budgétaires et des hausses d'impôts ?
W. S. - Absolument. Il n'y a pas d'autre manière de réduire les déficits que de réduire les dépenses et d'augmenter les recettes. J'insiste : c'est en réduisant les déficits que nous créerons les conditions d'une croissance durable. Car nous affrontons une crise de confiance grandissante. Posez-vous la question : d'où vient le coup de froid qui frappe la conjoncture mondiale ? Il est dû, en grande partie, à la crise de confiance qu'ont déclenchée 1) le débat sur la dette de l'Euroland et 2) le problème de la crise de la dette américaine.
J.-P. P. - La croissance de l'Union européenne est plus faible que la croissance mondiale. Pour quelles raisons et pour combien de temps encore ?
W. S. - Ce n'est pas ainsi que je vois la situation. L'Union européenne fait partie des régions les plus développées de la planète. Si nous voulons avoir une croissance durable au niveau mondial, il faut que les régions les plus faibles croissent plus vite que les régions très industrialisées. La convergence des niveaux de développement de par le monde ne peut que réduire les tensions et contribuer à la stabilité politique de notre planète. C'est pourquoi je considère qu'il est de notre responsabilité de pays industrialisés de vouloir que les pays émergents et en développement aient des taux de croissance supérieurs aux nôtres.
J.-P. P. - Revenons à l'Europe. La croissance allemande est plus forte que la croissance française et même que celle de l'UE dans son ensemble. Comment l'expliquer ?
W. S. - La réponse est simple : nous avons rattrapé l'an dernier et au cours du premier semestre de cette année ce que nous avions perdu en points de croissance l'année précédente. Je vous rappelle que nous avons eu en 2009 une contraction du PIB de 5,1 % - un recul sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, bien plus marqué qu'en France. Il s'agit donc, en quelque sorte, d'une correction. Mais ce qui est plus important encore que la croissance allemande, c'est celle des pays de la zone euro qui font actuellement face à des problèmes d'endettement et de chômage élevés. L'Allemagne et la France constituent l'ancrage de la stabilité en Europe. Il faut qu'elles le restent. Mais nous devons tout faire pour aider ceux qui ont des problèmes plus aigus à les régler.
J.-P. P. - Tout le monde, ou presque, déplore que l'UE manque d'une volonté politique commune. L'euro est là, mais il n'a pas d'accompagnement politique. En 1994-1995, vous aviez rédigé, avec le député Karl Lamers, un projet d'Europe politique unie. Ce projet avait été rejeté, notamment par la France. Si votre plan avait été accepté, pensez-vous que nous n'aurions pas aujourd'hui ce problème dans la zone euro ? Et défendriez-vous encore un projet comme celui-là ?
W. S. - Le monde a considérablement changé depuis 1994-1995. Il est vrai qu'en créant la monnaie commune nous avons aussi adopté une politique monétaire unique, mais les politiques fiscales et budgétaires sont restées fermement entre les mains des États membres. Nous pensions que la monnaie commune suffirait à faire progresser l'Union politique pas à pas. Ce qui est clair, en tout cas, c'est que nous ne pouvons pas nous permettre de nous contenter de résoudre les problèmes actuels. Il faut le faire, bien évidemment. Et il faut le faire dans le cadre des traités et des règlements qui existent actuellement. Mais, rapidement, il faudra aller plus loin et faire évoluer les institutions européennes. Nous devons créer des structures qui garantiront réellement la stabilité de la monnaie européenne.
J.-P. P. - Concrètement, que faut-il faire ?
W. S. - Nous avons besoin de mécanismes qui nous permettront de mettre en commun non seulement la politique monétaire, mais aussi des éléments de politique budgétaire. Il serait également avantageux d'avoir des mécanismes qui renforceraient la productivité dans toutes les régions de la zone euro, car une monnaie commune augmente la pression concurrentielle entre les pays qui en font partie (1).
J.-P. P. - Ces mécanismes communs, voudriez-vous les créer pour les dix-sept États membres de l'Euroland ou pour la totalité des vingt-sept pays de l'Union européenne ?
W. S. - Ce n'est pas le premier de mes soucis. L'union monétaire …