Les Grands de ce monde s'expriment dans

INTERNET : LES NOUVELLES FRONTIERES

par Brigitte Adès, chef du bureau britannique de Politique Internationale. et David Lacombled, Directeur délégué à la stratégie des contenus d'Orange, président du think-tank La villa numeris.

Brigitte Adès* et David Lacombled**
* Chef du Bureau britannique de Politique Internationale. Directrice du site politiqueinternationale.com
** Directeur délégué à la stratégie des contenus d'Orange, président du think-tank La villa numeris.
INTERNET : LES NOUVELLES FRONTIERES
Fin mai 2011, les dirigeants des plus grandes entreprises du secteur des nouvelles technologies et d'Internet se réunissaient à Paris pour le premier e-G8 Forum. Au menu de leurs réflexions : un projet de régulation mondiale de la Toile. Et parmi leurs interrogations : quel homme politique, se sont-ils demandé, n'aurait pas préféré qu'Internet n'ait jamais existé ? Y a-t-il manière plus éloquente de signifier qu'Internet a bouleversé la donne et que, en matière de politique étrangère notamment, plus rien ne sera comme avant ?
Chaque jour, en effet, le Web dessine de nouvelles frontières dont il importe de scruter attentivement les contours et de suivre les évolutions. Non seulement pour comprendre et analyser les changements à l'oeuvre, mais surtout pour forger des outils utiles à la bonne gouvernance et contribuer ainsi à faire d'Internet un instrument de progrès au service des États et des citoyens.
Nouvelles règles
Internet a bouleversé le travail des diplomates et des décideurs. Quel a été son impact : liberté accrue, meilleure réactivité ou remise en cause fondamentale des règles, au risque d'entraîner de dangereux dérapages ? Sans doute les trois à la fois.
Par rapport aux supports traditionnels écrits et audiovisuels, les nouvelles technologies de l'information et de la communication apportent deux évolutions majeures : l'information est immédiatement accessible à tous les habitants de la planète et tout un chacun peut produire et diffuser instantanément cette information, pour un coût tout à fait modique et avec des compétences limitées. La presse traditionnelle a certes investi Internet, mais elle adapte, elle aussi, ses pratiques aux nouvelles technologies, qui lui permettent une réactivité accrue et un mode de diffusion plus actif : alertes, listes de diffusion, réseaux sociaux... Cet impératif de rapidité, qui s'impose à tous, transforme radicalement le rapport entre les décideurs politiques et les peuples qu'ils gouvernent. Sous une pression médiatique permanente, les dirigeants disposent de moins de recul et surtout de moins de temps pour consulter leurs homologues et peser leurs mots. Elle est loin l'époque où l'information parvenait d'abord au sommet de l'État avant d'être redirigée vers les citoyens ordinaires. Nous sommes passés d'un monde où le pouvoir résidait dans le savoir à un monde où ce savoir est accessible à tous au même instant. Un monde, aussi, où la moindre déclaration reste à tout jamais gravée sur le Web.
La plus dérisoire maladresse est amplifiée et a tôt fait de prendre des proportions planétaires. Un simple tweet rédigé dans l'urgence peut provoquer un véritable séisme. La mésaventure d'Anthony Weiner, en mai 2011, en témoigne : trahi par une erreur de manipulation, le sénateur de New York a dû admettre avoir entretenu une correspondance un peu trop familière sur Facebook et Twitter avec plusieurs jeunes femmes, dont une mineure de 17 ans, alors qu'il était marié. Après avoir tout d'abord annoncé qu'il prendrait un congé pour entreprendre une thérapie, il a fini pas démissionner.
Un mot malheureux peut parfois coûter la victoire dans les urnes. Pour avoir qualifié de « bigote » une certaine Mrs Duffy, venue lui poser trois questions lors de la campagne, Gordon Brown en a fait l'amère expérience. C'est moins la gaffe elle-même qu'on lui a reprochée que la manière dont il l'a gérée. Les images du premier ministre britannique la tête entre ses mains, filmées à son insu alors qu'il visionnait la vidéo de l'incident et diffusées sur YouTube, ont eu un effet dévastateur. Tout comme ses explications maladroites au micro des journalistes qui l'avaient piégé une minute plus tôt...
L'apprentissage de cette nouvelle donne est difficile pour les leaders politiques : la plupart des décideurs ont commencé leur vie d'adulte dans un monde où les téléphones portables de première génération n'existaient même pas !
Qui plus est, à l'exigence de rapidité s'ajoute la revendication de transparence de la part de certains activistes et, de plus en plus, du public dans son ensemble. Le cas WikiLeaks en est l'illustration la plus flagrante, dans la mesure où cette organisation, la plus en pointe dans son domaine, a pris le parti de rendre entièrement publiques des informations dont la nature veut qu'elles restent confinées à des cercles très restreints. Les câbles diplomatiques américains mis en ligne par Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, se sont finalement révélés moins explosifs qu'annoncé, mais l'affaire a créé dans les milieux diplomatiques un traumatisme durable. La diffusion d'informations confidentielles met à mal la pratique même de la diplomatie qui, par essence, repose sur la culture du secret, de la pondération et de la négociation.
Nouveaux pouvoirs
En 2009, les nouvelles technologies de l'information ont fait une percée remarquée sur la scène internationale, qu'il s'agisse de la Moldavie - où, par Twitter interposé, la jeunesse s'est révoltée contre des élections truquées, le poids de la corruption et l'influence excessive de la Russie - ou de la région chinoise du Xinjiang où, après une série de troubles interethniques, il a fallu attendre dix mois pour que l'usage d'Internet soit totalement rétabli. Mais c'est avec la « révolution verte » qui secoua l'Iran la même année que le véritable tournant s'amorça. Des manifestants ont pu filmer des scènes de violence à l'aide de leurs téléphones portables et les mettre en ligne aussitôt. La mort quasiment en direct d'une jeune femme est devenue le symbole de la lutte du peuple iranien. Cette vidéo, qui a fait le tour le monde, a été qualifiée de « vidéo virale la plus importante de notre époque » par un gourou de la cyberpolitique, Jared Cohen.
Au printemps dernier, chacun a pu mesurer le rôle de la blogosphère et des réseaux sociaux dans le succès des révolutions arabes. Sans Twitter et Facebook, les jeunes Tunisiens et Égyptiens n'auraient pas pu aussi aisément contourner la censure, communiquer entre eux et organiser leur révolte. La société …