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KINSHASA : LES CHANTIERS DU PRESIDENT

Entretien avec Joseph Kabila, Président de la République démocratique du Congo depuis janvier 2001. par Colette Braeckman, Journaliste

n° 133 - Automne 2011

Joseph Kabila Colette Braeckman - Monsieur le Président, avant de parler de l'élection qui aura lieu à la fin du mois de novembre, j'aimerais revenir avec vous sur votre action au sommet de l'État. C'est en 2001, dans des circonstances dramatiques, que vous avez succédé à votre père, Laurent-Désiré Kabila. Quel bilan tirez-vous de cette décennie ?
Joseph Kabila - Il est toujours difficile de parler d'un bilan... J'ai cependant coutume de dire : « Si vous ne croyez pas en mes paroles, croyez au moins en mes actes ! » Permettez-moi de faire un bref rappel historique. Quand je suis devenu président, en 2001, la RDC était un pays en guerre, géographiquement divisé. L'assassinat de Mzee (1) fut indéniablement un coup dur pour toute notre famille ; mais ce fut surtout un coup dur pour le pays tout entier, qui représentait la véritable famille de cet homme dont le moins qu'on puisse dire est qu'il avait consacré sa vie à lutter pour libérer son pays. De 2001 à 2003, nous avons connu les négociations de paix. Ensuite, de 2003 à 2006, le pays est passé par une phase de transition qui a précédé les élections générales de l'automne 2006. En 2007, nous avons enfin pu planifier la reconstruction du pays et négocier sur ce dossier avec nos partenaires, anciens et nouveaux, principalement la Chine. La reconstruction proprement dite n'a commencé qu'à partir de 2008. Ce qui ne fait, finalement, que trois années... Les huit années précédentes avaient été consacrées aux négociations politiques et à l'effort de guerre mené dans les provinces de l'Est (2). À mon sens, l'un des points positifs de la reconstruction, c'est qu'elle n'a pas commencé uniquement par Kinshasa. Ceux qui arrivent dans notre capitale oublient souvent que Kinshasa, siège des institutions, ce n'est pas tout le pays. Or les travaux de reconstruction des infrastructures ont commencé partout, sur toute l'étendue du territoire national. N'oubliez pas que la RDC, ce sont 2 345 000 km2 ! Nous avons déjà réalisé près de dix mille kilomètres de routes en terre et quelques centaines de kilomètres de routes asphaltées, mais ce n'est rien par rapport à tout ce qui reste à faire...
C. B. - Vous n'avez pas attendu le début de la campagne électorale pour énormément voyager à travers le pays. On vous voit partout, un casque sur la tête ; vous semblez aimer inaugurer des chantiers...
J. K. - Mais c'est cela, mon travail ! Un chef d'État qui ne prendrait pas le temps de circuler ne pourrait pas se faire une idée précise des véritables défis à relever. J'ai déjà fait le tour du pays à deux reprises : je commence à le connaître jusque dans ses coins les plus reculés ! Je suis frappé par l'indigence qui demeure le lot de la majorité de la population. J'ai découvert des situations que je ne soupçonnais même pas : la misère, l'enclavement de certains territoires. Mais j'ai aussi découvert l'espoir qui anime notre peuple, la confiance que les Congolais ont dans l'avenir. Ils sont certains que les choses vont aller de mieux en mieux. En tout cas, il est indispensable que je voyage : ces déplacements me permettent de connaître la réalité des situations et d'y chercher des solutions appropriées.
C. B. - Il n'en demeure pas moins que, lorsqu'on s'entretient avec la population, les gens expliquent que le « social » n'est pas au rendez-vous, que la faim est toujours là, que la rentrée scolaire (où les parents doivent payer des droits d'inscription et rétribuer les enseignants) demeure une véritable épreuve (3)...
J. K. - Avant de juger, il faut décortiquer ce qu'est exactement le « social ». Faire du social, c'est mettre à la disposition de la population des soins de santé convenables, ce qui implique de réhabiliter les dispensaires et les hôpitaux. Nous avons prévu de construire ou de réhabiliter, avec l'aide des Chinois, 145 centres de santé. Un très grand hôpital, le plus vaste d'Afrique centrale, est actuellement en construction à Kinshasa. Le social, ce sont aussi les écoles. Si nous voulons assurer l'avenir de la RDC, il faut que nos enfants puissent étudier dans des conditions optimales - et sur ce plan-là aussi, la tâche reste immense... Il faut également que le pays devienne vraiment auto-suffisant en matière alimentaire. L'agriculture est donc la priorité des priorités, je vais y revenir. Last but not least : nous devons veiller à payer les salaires de nos fonctionnaires, des enseignants, des militaires... Nous y travaillons. Un exemple : les militaires sont désormais dotés de fiches biométriques nominatives (4) afin d'éviter la fraude. C'est, à coup sûr, un grand pas en avant pour une armée que les ennemis de la paix dans notre pays rêvaient de voir disparaître.
C. B. - Vous estimez donc que votre présidence marque une vraie rupture...
J. K. - C'est indiscutable. Je dirai même qu'il n'y a pas de comparaison possible : le Congo est réunifié, la paix règne sur la quasi-totalité du territoire, à l'exception de quelques poches de violence résiduelle dans l'Est. Il y a quinze ans, le pays connaissait un taux d'inflation à quatre chiffres, l'argent circulait dans des valises et des camionnettes... Nous avons remis bon ordre dans ce secteur sensible et renoué avec les institutions financières internationales. Ce qui nous a permis d'atteindre le « point d'achèvement » (5) et de bénéficier de l'effacement (6) de 90 % de la dette du pays. Aujourd'hui, il y a une vraie stabilité monétaire. Cela aussi, c'est le « social »... Le FMI évalue notre taux de croissance à 6,5 % par an. Les chiffres parlent d'eux-mêmes !
C. B. - Revenons à l'agriculture. Vous avez dit qu'il s'agissait d'une priorité. Pour quelles raisons ?
J. K. - J'ai même dit que l'agriculture constituait la « priorité des priorités ». Pourquoi ? Tout simplement parce que plus de 65 % des Congolais vivent en milieu rural. Nous voulons aller au-delà de l'agriculture de subsistance et apporter un vrai « plus …