Mouammar Kadhafi n'aura pas fêté au pouvoir le 42e anniversaire de son coup d'État du 1er septembre 1969. Cette date - le « Fateh » selon la terminologie du régime - donnait lieu en Libye à une surenchère dans le culte de la personnalité du « Guide de la Révolution ». Mais, ce 1er septembre 2011, Tripoli et Benghazi, Misrata et Nalout l'auront vécu débarrassées du dictateur, mêlant la célébration de la liberté retrouvée aux réjouissances de la fin du Ramadan. Ce même 1er septembre 2011, Paris accueillait, sous la co-présidence de Nicolas Sarkozy et de David Cameron, une « conférence internationale de soutien à la Libye nouvelle » à laquelle participaient 63 délégations de haut niveau, ainsi que le secrétaire général de l'ONU et le président du Conseil national de transition (CNT), Moustafa Abdeljalil. À l'issue de cette rencontre, les délégations se sont déclarées « convaincues que le peuple libyen et ses autorités parviendront à relever les immenses défis qui les attendent » et ont fait part de leur « volonté de se tenir à leurs côtés pour les aider à les relever » (1). Cet engagement international en faveur de la « Libye nouvelle » s'affirmait quelques jours seulement après la chute de Tripoli aux mains de l'insurrection. Avant même la mort du tyran renversé, le 20 octobre, l'ère Kadhafi était déjà close : sa famille et ses partisans étaient dispersés ou exilés ; l'ONU, la Ligue arabe et l'Union africaine avaient toutes offert le siège libyen au CNT. Mais cette « Libye nouvelle » doit, pour s'affirmer, solder l'héritage calamiteux de quatre décennies d'arbitraire et de pillage - un héritage aggravé par six mois d'un conflit impitoyable et destructeur. Les atouts de cette Libye libérée sont considérables. Ce sont ces atouts qui ont porté l'élan révolutionnaire, malgré un rapport de forces écrasant en faveur du despote et de ses séides. À l'heure où l'Histoire s'écrit sous nos yeux, il n'est pas inutile de revenir sur ce passé récent pour mieux comprendre les tendances actuellement à l'oeuvre dans la « République libyenne » (elle a officiellement pris la place de la funeste « Jamahirya », la « massocratie » taillée à la mesure de Kadhafi et de son addiction au pouvoir absolu) (2). Une révolution contrainte de se militariser La fuite de Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011, a soulevé un immense espoir dans l'ensemble de la Libye, où les liens étroits entre les dictateurs tunisien et libyen étaient connus de tous. Le colonel Kadhafi s'est d'ailleurs, dans un premier temps, déchaîné en paroles contre le nouveau régime de Tunis, avant de modérer son expression publique, au moins pour ménager l'avenir. Cette modération ne l'empêchait pas d'accorder un soutien multiforme aux suppôts du benalisme (Ali Seriati, le chef de la garde présidentielle de Carthage, responsable des pires violences de la répression, fut arrêté avant d'atteindre la frontière libyenne, alors que nombre de ses partisans s'étaient déjà réfugiés à l'ombre de la « Jamahirya »). Mais c'est le renversement du président égyptien Hosni Moubarak, le 11 février, qui galvanisa les énergies contestataires en Libye. Un consensus émergea rapidement entre les différentes tendances de l'opposition, intérieure comme exilée : le 17 février serait un « Jour de Colère » contre la dictature. Cinq ans plus tôt, le 17 février 2006, des émeutes sanglantes avaient, en effet, secoué Benghazi. La protestation contre une provocation à laquelle s'était livrée un membre du gouvernement de Silvio Berlusconi (le ministre de la Réforme Roberto Calderoli qui avait arboré, sur un plateau de télévision, un T-shirt barré d'une des caricatures du prophète Mahomet) avait dégénéré en combats de rue, d'abord autour du consulat italien, puis dans le reste de la ville. Cette détestation partagée de Kadhafi et de Berlusconi (signataires d'un traité bilatéral d'amitié en 2008) renvoyait au très lourd passé colonial de la Libye. D'ailleurs, c'est le héros de la résistance antifasciste, Omar al-Mukhtar, pendu en 1931, que l'opposition invoquait pour « libérer » le pays - cette fois, pour le libérer d'une dictature spoliatrice. Tous les services répressifs du régime furent mis en état d'alerte. Les « Comités révolutionnaires », chargés de quadriller la population sous couvert de « pouvoir des masses », raflèrent les opposants les plus en vue. C'est ainsi que, le 15 février 2011, Fathi Terbil, infatigable avocat des familles des victimes du massacre d'Abou Selim (3), fut incarcéré à Benghazi. C'est l'attaque, le lendemain, du commissariat où il était détenu qui marqua le début des troubles. La « révolution du 17 février » a donc éclaté un jour plus tôt que prévu, non du fait d'un changement de la planification révolutionnaire, mais à cause des coups assénés par anticipation de la part d'un régime affolé. C'est l'escalade meurtrière d'une répression gouvernementale utilisant contre des foules désarmées ses blindés, son aviation et ses missiles qui a contraint les opposants à la légitime défense. Ce déchaînement du régime contre la population divise l'appareil de sécurité. Malgré la liquidation, souvent accompagnée de tortures, des militaires jugés trop « tièdes » (4), les défections se multiplient. Le basculement dans la rébellion du général Suleiman Mahmoud entraîne avec lui Tobrouk et la Cyrénaïque orientale. Le ralliement d'Abdelfattah Younes, le ministre de l'Intérieur, conforte cette tendance - d'autant que Younes et Mahmoud ont tous deux participé à la prise du pouvoir par Kadhafi en 1969. La puissante tribu des Obeidi, auxquels ils se rattachent l'un comme l'autre, a également pesé sur leur retournement. Mais, à la différence de l'Égypte ou de la Tunisie, où le désaveu du despote par l'armée a précipité sa chute, le « Guide » préserve son contrôle sur des unités et des milices dévouées à sa personne, généreusement équipées, très bien payées et appuyées par des supplétifs recrutés, en particulier, dans la zone sahélienne. Dans tout le pays, les manifestations pacifiques, réprimées dans le sang, se transforment en opérations de harcèlement des postes de sécurité par des commandos de volontaires (souvent très jeunes et généralement inexpérimentés). Le soulèvement grandit …
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