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L'INTEGRATION EUROPEENNE, SEULE SOLUTION A LA CRISE

Entretien avec José manuel Durão barroso, Premier ministre du Portugal depuis avril 2002 par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris

n° 133 - Automne 2011

José manuel Durão barroso Baudouin Bollaert - La crise de la dette mine le monde occidental et sape les fondements de la monnaie unique européenne. La dernière mesure décidée en juillet par les 17 membres de la zone euro en faveur de la Grèce (160 milliards qui s'ajoutent aux 110 déjà débloqués en mai 2010) en appelle-t-elle d'autres du même genre ?
José Manuel Barroso - Il est vrai que la crise de la dette a mis en évidence certains points faibles dans la gestion commune de l'euro. Nous sommes en train de pallier ces faiblesses par des avancées importantes. Ce qui se passe actuellement est historique. Je suis convaincu que, dans le respect des principes de stabilité et de solidarité, nous pourrons avancer sur la voie de l'intégration européenne et apporter une réponse à la crise de la dette souveraine. Qui aurait cru possible, il y a encore dix-huit mois, la création d'un Fonds européen de stabilité financière (FESF) pour venir en aide aux États en difficulté financière ? Qui aurait envisagé avant la crise que nous pourrions mettre en place un « Semestre européen » durant lequel les États membres coordonnent leurs politiques économiques et budgétaires avant de présenter leur projet de budget devant les parlements nationaux ? Enfin, qui aurait imaginé ces appels à l'approfondissement de la gouvernance économique et au renforcement du Pacte de stabilité et de croissance - thèmes qui sont au coeur de l'action de la Commission européenne depuis plusieurs années ? Nous tirons collectivement les enseignements de douze années d'union monétaire en développant enfin une architecture économique à la hauteur des défis.
B. B. - Il n'en demeure pas moins une impression d'atermoiements et de lenteur...
J. M. B. - C'est pourquoi la priorité est maintenant de mettre en oeuvre l'aide financière à la Grèce. Le paquet de mesures décidé le 21 juillet lance un message politique fort : l'engagement de la Grèce dans la conduite des réformes s'accompagne de la solidarité des autres États de la zone euro. Ce paquet, une fois mis en place, va permettre à la Grèce de continuer à se financer et à réduire son endettement grâce, notamment, à la participation du secteur privé. Parallèlement, la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) - qui composent la Troïka - contrôlent les progrès faits par Athènes en termes de consolidation budgétaire et de réformes structurelles essentielles, conditions nécessaires aux prêts des autres États membres. Tous les États membres ont ratifié ces changements pour rendre ces mesures pleinement effectives. L'Irlande et le Portugal bénéficient également d'une assistance financière et se sont engagés dans des réformes courageuses mais nécessaires. Dans les deux cas, la Troïka a estimé que les programmes d'ajustement budgétaire étaient sur la bonne voie. Les efforts de réduction des déficits budgétaires concernent la quasi-totalité des États membres. Il ne s'agit pas seulement de répondre à la pression des investisseurs, mais aussi et surtout d'assurer la viabilité de nos économies. Continuer à s'endetter, c'est se rendre encore plus dépendants des marchés. Et rembourser indéfiniment les intérêts de la dette, c'est renoncer à financer des dépenses d'avenir telles que l'éducation, la santé ou le soutien aux entreprises. Réduire les déficits est certainement pénible, mais c'est le prix à payer pour relancer nos économies et leur permettre de créer à nouveau de la croissance et des emplois.
B. B. - Le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui doit succéder au Fonds européen de stabilité financière (FESF) ne préfigure-t-il pas ce que demande Jean-Claude Juncker, premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, à savoir un marché européen des obligations d'État qui soit capable de rassurer les marchés financiers ? Si cette impression est exacte, cela signifie-t-il que les réserves de l'Allemagne et de la France ne sont plus de mise ?
J. M. B. - Le futur Mécanisme européen de stabilité sera un outil essentiel pour la sauvegarde de la stabilité financière en Europe - et cela, d'autant plus depuis que le sommet de la zone euro, le 21 juillet, a décidé de le doter de la capacité d'acheter des obligations sur le marché secondaire, d'intervenir si nécessaire en appui de pays en difficulté avant même d'envisager un programme d'assistance, et d'aider certains pays à recapitaliser leurs banques. Comme je l'ai dit au Parlement européen, le 28 septembre, nous devons accélérer sa mise en oeuvre. Mais il ne préfigure pas nécessairement la création d'un marché européen des obligations d'État. La Commission européenne présentera dans les semaines qui viennent un rapport sur les options envisageables pour la création d'obligations européennes communes. Ces « eurobonds » que j'appelle aussi des « stability bonds » sont une avancée pour l'Union économique et monétaire. Sur la base de ces options, nous pourrons alors avoir un débat transparent sur les avantages et les inconvénients d'une telle solution. Ce qui est clair, c'est que - quelle que soit la forme exacte qu'elles prendraient - l'introduction de ces obligations nécessiterait en parallèle un renforcement substantiel de la gouvernance européenne et, donc, de la surveillance budgétaire et de la coordination des politiques économiques entre les États membres. Ces obligations devront assurer la stabilité de la zone euro, en aidant ceux qui en respectent les règles de discipline. Mutualiser ses dettes, c'est aussi assumer ensemble de nouvelles responsabilités. L'un ne peut aller sans l'autre.
B. B. - Pour le ministre polonais des Finances, M. Rostowski, dont le pays préside actuellement l'Union, « l'unique solution, pour la zone euro, c'est son intégration plus profonde ». Faut-il aller vers plus de fédéralisme ? J. M. B. - Soit nous avançons vers plus d'intégration, soit nous devons faire face au risque de désintégration. Je l'ai dit lors de mon discours sur l'état de l'Union à Strasbourg : l'Union européenne a réalisé, ces derniers dix-huit mois, des avancées très importantes vers une gouvernance économique renforcée. Elle progresse à grands pas vers une politique économique commune, complément indispensable de la politique monétaire commune conduite, depuis douze ans déjà, par la Banque centrale européenne. Sans …