par
Brigitte Adès, chef du bureau britannique de Politique Internationale.
Brigitte Adès - Monsieur Summers, vous avez occupé de prestigieuses fonctions sous deux administrations présidentielles. D'abord en tant que secrétaire au Trésor du président Clinton, de 1999 à 2001. Puis comme directeur du National Economic Council de l'administration Obama jusqu'en novembre 2010. Vous avez travaillé de très près avec les deux présidents. En quoi se ressemblaient-ils ? En quoi étaient-ils différents ? Larry Summers - Ce sont tous deux des hommes extraordinairement brillants, extraordinairement créatifs, et qui possèdent de remarquables qualités de leaders. J'ai eu beaucoup de chance de travailler avec eux. Et je pense que le pays a eu beaucoup de chance de les avoir comme présidents. Leurs styles sont très différents. Si vous avez une réunion avec le président Obama, vous commencerez cinq minutes en avance et vous terminerez juste à l'heure. Si, avant la réunion, vous lui avez fait parvenir une note, il l'aura intégralement lue. Si vous vous lancez dans une longue explication, il vous coupera la parole et vous rappellera qu'il a déjà pris connaissance de tout cela. Il n'entrera pas dans les détails. Si son conseiller économique n'est pas capable d'expliquer ce qui distingue une « action préférentielle » d'une « dette subordonnée », il le remplacera par un autre conseiller. Il ne perdra pas de temps à discutailler. Il se concentre uniquement sur les choses que doit trancher le chef de l'exécutif. Par exemple : comment une décision économique s'insère dans le cadre plus global de tout ce qu'il accomplit, lui, en tant que président. Bref, il conçoit son rôle essentiellement comme un leadership stratégique : il considère que les gens sont responsables, il délègue beaucoup, mais c'est lui qui définit la vision globale. Le président Clinton avait un style très différent. Aucune réunion ne commençait ni ne se terminait à l'heure. C'était une autre conception du temps. Il y avait, aussi, moins de chances que le président ait lu attentivement votre mémo avant le meeting. Mais le président Clinton possédait un stock de connaissances inouï sur à peu près tous les sujets. Il pouvait vous parler de l'article du Journal of Finance qu'il venait de lire dans la bibliothèque de la Maison Blanche, aussi bien que d'une idée dont il avait entendu parler lors d'une conférence organisée par un think tank onze ans auparavant - et dont il se rappelait fort bien les détails. Il connaissait le contenu de l'Economist de la semaine ; il pouvait s'étonner à haute voix des suggestions que certaines personnes venaient de faire lors d'une récente réunion politique, et s'interrogeait sur leur pertinence. Cette extraordinaire propension à s'intéresser à tout ne concernait pas seulement la politique économique, mais tous les sujets sur lesquels planchaient les membres de son cabinet. Travailler pour lui était vraiment une expérience particulièrement tonifiante et stimulante. Il a consacré une formidable énergie intellectuelle à résoudre les problèmes qui étaient ceux de l'époque de sa présidence. Et cela, je crois, pour le plus grand bien du pays. Alors, comment comparer le style très managérial et hyper-ciblé du président Obama avec l'approche plus large et plus contrastée du président Clinton ? Je laisserai aux spécialistes le soin de juger. Pour ma part, je dis seulement que ce fut un grand privilège que de pouvoir les observer tous les deux de si près. B. A. - Lorsque vous contemplez ce que vous avez réalisé sous le règne de ces deux présidents, de quoi êtes-vous réellement le plus fier ? L. S. - Je suis fier d'avoir appartenu à l'administration Clinton qui a obtenu les meilleurs résultats économiques de toute une génération ; et cela, tout simplement parce que nous avions adopté une approche plus réfléchie de la politique économique. Cette administration a bien réussi dans de nombreux domaines essentiels comme la réduction du déficit (en 1993) et la réponse apportée à la crise financière mexicaine. Sans oublier son ferme engagement pour la défense du libre-échange. Sur tous les dossiers clés, ce qui lui importait était de choisir la meilleure politique possible, et non de « faire de la politique ». J'étais particulièrement fier d'appartenir à une administration qui se comportait ainsi. Pour moi, la crise financière mexicaine puis la crise financière asiatique furent des moments de particulière intensité dramatique mais aussi de grande satisfaction. Pour ce qui est de l'administration Obama, je suis fier de la manière dont nous avons réagi pour relancer l'économie, pour répondre à la nécessité de protéger le système financier sans détruire ce qui permettait de le sauver, ou encore de la réponse que nous avons apportée aux difficultés des firmes automobiles - le dossier dans lequel j'ai été le plus directement impliqué. Certes, tout n'est pas parfait. Mais nous aurions facilement pu tomber dans une version actualisée de la Grande Dépression. De l'automne 2008 au printemps 2009, tous les indicateurs ressemblaient fort à ceux de la période automne 1929-printemps 1930. Par la suite, les choses se sont passées très différemment. Je pense que les choix faits par le président Obama à l'époque, et auxquels j'ai eu la chance de contribuer, y sont pour beaucoup. B. A. - Quels sont les problèmes auxquels il fut le plus difficile d'apporter une solution ? Avez-vous douté à l'occasion ? L. S. - Je ne connais personne dont la tâche consiste à réfléchir aux grandes questions stratégiques qui n'ait jamais éprouvé de doutes. En fait, il faut raisonner de manière probabiliste en essayant de prendre les décisions qui ont le plus de chances de déboucher sur les meilleurs résultats aux moindres coûts possibles, tout en tenant compte de l'incertitude. Vous devez aussi tenir compte du coût de l'inaction, de la passivité face à l'événement. C'est ce qui s'est produit au cours de l'hiver 2009 : la pérennisation du statu quo nous a paru, très vite, inacceptable. Dans le même ordre d'idées, ai-je éprouvé des doutes lorsque nous avons décidé d'intervenir massivement pour soutenir le Mexique ? Bien sûr. Est-ce que je pensais que c'était la bonne démarche ? Oui, absolument. B. A. - Plus généralement, …
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