Entretien avec
Hans-Werner Sinn, Président de l'Institut d'économie de Munich (Ifo).
par
Jean-Paul Picaper, responsable du bureau allemand de Politique Internationale.
n° 133 - Automne 2011
Jean-Paul Picaper - Professeur Sinn, plusieurs dirigeants allemands, en particulier le ministre de l'Économie et vice-chancelier Philipp Rösler, estiment que la Grèce devrait être momentanément mise en quarantaine de l'euro. N'avez-vous pas été le premier à avancer cette thèse ? Hans-Werner Sinn - Rösler n'a pas exigé de la Grèce qu'elle sorte de l'Union monétaire ; il n'a fait que dire la vérité, à savoir que la Grèce est en faillite. Le chef de l'autre parti allié à la CDU au sein de la coalition gouvernementale, la CSU bavaroise, Horst Seehofer, l'a dit lui aussi. Ils sont tous les deux d'accord. Pour ma part, j'estime que, de toutes les options dont la Grèce dispose actuellement, une sortie de l'euro représenterait, pour elle, le moindre mal. Dans l'état actuel des choses, un tel scénario serait vraiment le mieux indiqué. Tout l'argent que pourrait lui verser la communauté européenne ne compenserait pas les désavantages du dépérissement qui la menace si elle demeure dans la zone euro, où les prix sont trop élevés pour elle. À quoi, en effet, lui servirait-il de préserver un certain niveau de vie quand ses jeunes seraient au chômage et n'auraient plus de perspectives d'avenir ? Seule la sortie de l'euro et une dévaluation de 30 %, voire davantage, peuvent réellement sauver la Grèce. J.-P. P. - Sauf erreur, le traité de Lisbonne dispose qu'un pays membre a la possibilité, s'il le souhaite, de quitter l'Union européenne... mais pas l'Union monétaire. Alors, comment procéder à l'éviction de la Grèce ? H.-W. S. - La sortie de la zone euro peut être justifiée de diverses manières. De toute façon, personne en Europe ne respecte plus les traités. Mme Lagarde a plusieurs fois admis en public que lors du sauvetage de la Grèce on avait enfreint sciemment le traité de Maastricht. On peut donc enfreindre à nouveau le traité si la Grèce veut sortir de l'Union monétaire tout en restant dans l'Union européenne. Pour satisfaire les juristes, on pourrait procéder ainsi : la Grèce obtient un statut spécial qui la maintient pro forma dans l'Union monétaire, tout en rétablissant temporairement la drachme. Quand elle remplira à nouveau les conditions d'une appartenance pleine et entière à l'Union monétaire, elle pourra y revenir en tant que véritable membre. J.-P. P. - On entend souvent dire que l'exclusion de la Grèce serait une humiliation pour l'Union monétaire et que la perte de confiance des marchés qui en résulterait aurait des conséquences catastrophiques. Mme Merkel évoque un possible « effet domino »... H.-W. S. - L'effet domino aura lieu de toute façon si les banques ne peuvent plus venir à la rescousse de la Grèce et que les autres États de l'Union monétaire doivent le faire à leur place. On se contaminerait, entre pays de l'UE, en se repassant les fardeaux les uns aux autres. En tant que contribuable, je préférerais que ce soient les banques qui se contaminent entre elles plutôt que les États. Les marchés sont pris de nervosité quand les investisseurs craignent de ne pouvoir « repasser » aux contribuables leurs dettes souveraines grecques. Les contribuables, quant à eux, s'inquiètent quand les investisseurs tentent de les forcer à payer les charges résultant de leurs erreurs. En ce moment, nous assistons à une partie de poker gigantesque entre, d'une part, les contribuables des pays solvables et, de l'autre, les banques et les autres investisseurs. Celui qui aura les nerfs les moins solides perdra ses avoirs. Mais si l'on voit clair dans ce jeu, alors on peut essuyer les menaces des médias anglo-saxons avec beaucoup plus de flegme. Comme vous le savez, la City de Londres et ses journaux attitrés annoncent la fin du monde quand les contribuables des pays solvables n'assument pas leurs dettes. Mais ce n'est que du bluff. Ce n'est pas le monde qui disparaîtra, mais la fortune des habitués de la City. Mais, après un krach, on retombe bien vite sur ses pieds... J.-P. P. - L'éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro pourrait-elle avoir un effet positif ? H.-W. S. - Si la Grèce sortait de la zone euro, transformait toutes ses dettes en drachmes et dévaluait, elle pourrait envisager un nouveau départ. Les banques et les autres investisseurs lécheraient leurs plaies et continueraient comme avant. Les États occidentaux devraient sauver celles de leurs banques considérées comme systémiques, de la même manière qu'ils en étaient convenus après la crise de Lehman Brothers le 10 octobre 2008. Cela déclencherait une tempête mais, ensuite, le soleil reprendrait tout son éclat. Je ne pense pas qu'un effondrement du marché interbancaire serait le pire des dangers - à la différence des risques encourus après la faillite de la Lehman en 2008. Pour une raison simple : le sauvetage des banques est assuré et tout le monde aura eu un an pour s'y préparer. Les banques françaises ont pu se débarrasser d'une grande partie de leurs valeurs mobilières grecques en les revendant à la Banque centrale européenne. Les contribuables européens ont déjà considérablement été mis à contribution. Va-t-on encore continuer à les surcharger ? Le verre est plein, ça suffit ! J.-P. P. - Vous suggérez donc que l'Union monétaire pourrait recouvrer son prestige si la Grèce n'en faisait plus partie ? Ce n'est pas ce qu'on entend dire en général... H.-W. S. - Pas son prestige, mais son bon fonctionnement. Les marchés et le monde entier voient aujourd'hui que la zone euro ne fonctionne plus. On a besoin d'un modèle convaincant et en bon état. Où est le problème ? Jusqu'à la crise, nous avons eu dans la zone euro une convergence des taux d'intérêt en faveur des pays de la périphérie - Grèce, Portugal, Irlande. Ces pays ont donc obtenu de l'argent à un coût largement inférieur à ce qui aurait été normal. Ce qui a provoqué, chez eux, une hypertrophie inflationniste. Leur économie réelle a crû, c'est vrai ; mais leurs prix et leurs salaires ont grimpé au-delà du raisonnable. Ce phénomène a formé une bulle qui a …
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