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EN FINIR AVEC BACHAR

Entretien avec Rifaat Al-Assad, Ancien vice-président de la République arabe syrienne  par Georges Malbrunot, Grand reporter au service étranger du Figaro

n° 134 - Hiver 2012

Rifaat Al-Assad Georges Malbrunot - Comment stopper la violence de la répression menée par le régime syrien contre les manifestants ? Rifaat al-Assad - Le pouvoir syrien est condamné. Il aurait pu survivre à la révolte s'il avait réagi autrement que par la force au cours des deux premiers mois. Il est maintenant isolé au sein du monde arabe, et la communauté internationale l'a lourdement sanctionné. Mais celle-ci ne doit pas relâcher la pression, sinon il pourrait encore tenir des mois. Je suis membre de la communauté alaouite, mais je n'approuve pas mon neveu Bachar al-Assad. Je ne suis pas le seul : comme moi, de nombreux alaouites n'aiment pas ce régime. Le problème, c'est qu'ils ont peur ; alors, faute de mieux, ils continuent de le soutenir. Si les États-Unis pouvaient rassurer les alaouites - ne serait-ce qu'une seule fois, comme ils le font régulièrement avec Israël -, ceux-ci changeraient de position vis-à-vis de Bachar al-Assad. Les Américains, les Français et le reste des Occidentaux avec eux devraient leur dire ceci : vous êtes une minorité, mais le monde ne restera pas les bras croisés si, demain, on vous attaque. Ils devraient nous dire qu'ils connaissent notre histoire, les persécutions qui nous ont frappés et la haine que nous vouent les musulmans extrémistes. Comme moi, de très nombreux alaouites sont persuadés que si le régime actuel tombait, les islamistes prendraient le pouvoir à Damas et chercheraient à se venger de notre communauté. Les alaouites seraient d'autant plus facilement massacrés que la charia les a déjà condamnés en tant qu'infidèles. Après bientôt un an de révolte infructueuse, il est donc urgent que les Occidentaux parrainent une opposition qui rassure les minorités. Si non seulement les alaouites, mais aussi les chrétiens, les Kurdes, les druzes et les Turkmènes se sentaient protégés, ils auraient tôt fait de lâcher Bachar. G. M. - N'est-ce pas ce que cherche à faire le Conseil national syrien, la principale formation d'opposition et son chef Burhan Ghalioun ? R. A. - Pas du tout. L'opposition, sur ce point, a échoué. Elle a été incapable de tendre la moindre perche aux alaouites ou aux chrétiens. Combien sont-ils au sein de leur Conseil national ? Très peu. Combien y a-t-il, jusqu'à présent, de généraux alaouites et chrétiens qui ont fait défection ? Aucun ! L'opposition devrait se poser des questions sur l'absence de tels ralliements. Quant à Burhan Ghalioun, laissez-moi sourire. C'est peut-être un excellent conférencier à la Sorbonne, mais il n'est guère connu en Syrie, en tout cas, pas pour son sens politique, ni pour ses capacités à mener un combat ou, a fortiori, une guerre. C'est un tarbouche que les autorités turques ont posé sur la tête des Frères musulmans. Voilà ce qu'est Burhan Ghalioun : un instrument que manipule Ankara et qui masque l'influence prépondérante des islamistes au sein de l'opposition en exil. Mais ce tarbouche turc va disparaître un jour ou l'autre et, à la place, vous verrez apparaître l'épée d'Ibn Tarmya, le chantre du salafisme. Les minorités le savent : Ghalioun n'est qu'une marionnette. Espérons que cette imposture sera démasquée avant que les Frères musulmans ne prennent le pouvoir à Damas. G. M. - Mais la société syrienne n'est-elle pas attachée à une certaine forme de laïcité qui peut contrarier la prise du pouvoir par des intégristes ? R. A. - Que veut dire « laïc » en Orient ? Marxiste ? Socialiste ? Chez nous, toute personne considérée comme laïque est regardée avec suspicion - pour ne pas dire plus ! - par les Frères musulmans. Qu'on ne s'y trompe pas : les laïcs sont une minorité en Syrie. Contrairement au Liban où les différentes confessions s'équilibrent, en Syrie les sunnites constituent l'écrasante majorité, et ils sont mus par le désir de se venger de quarante ans de pouvoir alaouite. G. M. - Pendant longtemps, l'Occident a cru que Bachar al-Assad, éduqué à Londres, était un faible entouré de fauves - notamment au sein de sa propre famille - qui l'empêchaient d'engager les réformes qu'il avait promises après son arrivée au pouvoir, à la mort de son père en 2000. Vous qui l'avez bien connu, pouvez-vous nous dire si cette image correspond à la réalité ? R. A. - Mon neveu n'est pas sûr de lui. Il a toujours été un garçon assez réservé. Quand il était adolescent, Bachar vivait loin du monde, plutôt en solitaire. À son retour précipité de Londres, peu après la mort de son frère Bassel en 1994 - qui, lui, avait été programmé pour prendre la succession de Hafez al-Assad -, il a été promu maréchal en quelques mois. C'était une farce : il ne connaissait rien à la chose militaire. Je l'ai observé à cette époque. J'étais stupéfait de voir des soldats le porter sur leurs épaules et scander : « Bachar, tu es notre recours. » De quel recours s'agissait-il ? Mais, déjà, Bachar commençait à être entouré de courtisans. Rapidement, il a vu dans le pouvoir un jouet qui l'a attiré. Quelques années avant sa mort à la fin des années 1990, son père l'envoya chez Abdel Halim Khaddam (1) pour que celui-ci lui enseigne la politique, et chez le ministre de la Défense Moustapha Tlass qui lui apprit l'art de la guerre. Le problème, c'est que ni l'un ni l'autre ne sont des experts reconnus dans leur secteur. Dès ses débuts, Bachar a donc été très mal conseillé. G. M. - Était-il fait pour le pouvoir ? R. A. - Certainement pas. Bachar n'aurait jamais dû diriger la Syrie. Avant de rentrer de Grande-Bretagne, il n'avait visité qu'une fois ou deux seulement la côte syrienne, ce qu'on appelle le pays alaouite. Bachar connaît mal son pays. Mais comme je vous l'ai dit, il s'est pris au jeu. Et le jouet s'est soudainement cassé l'an dernier avec le début des révolutions arabes. Que Bachar s'en aille de Damas et qu'il reprenne ses activités d'ophtalmologue, c'est ce qui peut arriver de mieux pour lui et pour les Syriens …