Entretien avec
Christine Lagarde, Présidente de la Banque centrale européenne
par
Ulysse Gosset, Journaliste à France Télévisions
n° 134 - Hiver 2012
Ulysse Gosset - Madame Lagarde, qu'avez-vous ressenti le jour où vous vous êtes installée dans ce bureau du FMI, à deux pas de la Maison-Blanche ? Lorsque vous étiez jeune étudiante aux États-Unis, auriez-vous imaginé qu'un jour vous pourriez occuper un tel poste ? Christine Lagarde - Ce n'est pas dans ce bureau qu'on a le sentiment le plus fort ; c'est lorsqu'on pénètre dans le grand hall d'entrée du Fonds et qu'on aperçoit soudain les 187 drapeaux des 187 membres de l'Institution. C'est à ce moment-là que j'ai pris conscience de ma nouvelle responsabilité. Je n'étais plus la ministre des Finances en charge de l'économie française. Tout à coup, je me suis retrouvée à la tête d'une institution à caractère universel, chargée de diriger une équipe qui devait rendre des comptes à 187 États membres. J'ai éprouvé une sorte de « conversion ». U. G. - Sur le plan personnel, c'est en tout cas l'aboutissement d'une formidable carrière... C. L. - Je renoue un peu avec mon adolescence puisque, vous le savez, j'ai passé ma première année américaine ici, à Washington, en 1973, juste après mon bac, à la Holton-Arms School. C'est la preuve que, dans la vie, les trajectoires ne sont jamais fixées de manière irréversible. U. G. - Vous êtes la première femme à occuper ce poste prestigieux. Y voyez-vous un symbole important ? C. L. - Il était grand temps qu'une femme puisse exercer ce genre de responsabilité. C'est un bon signe pour cette institution qui fait de la diversité l'une de ses priorités, à la fois en termes de « genre » comme on dit en américain (mon objectif est de recruter 30 % de femmes à des postes de direction) et en termes d'origine géographique et ethnique. U. G. - Vous avez été désignée « Femme de l'année 2011 » par le Financial Times. Vous étiez en compétition avec le Mexicain Agustín Carstens. Certains voyaient là l'occasion de placer un représentant d'un pays émergent à la tête d'une grande institution internationale. Or voilà qu'une Européenne a succédé à un Européen. Comment avez-vous géré cette situation ? C. L. - Je vous parlais de « conversion ». À partir du moment où l'on entre dans cette institution, à quelque niveau que ce soit, on se met au service de ses 187 membres. Même si, aujourd'hui, je passe une grande partie de mon temps sur les questions européennes, c'est à l'ensemble des membres que je me consacre. Les réformes engagées en 2010 en matière de gouvernance, qui ont abouti à un changement de représentation au sein du Conseil d'administration, ont déjà contribué à une meilleure prise en compte de la diversité. Si Agustín avait été élu - je le connais suffisamment pour le savoir -, il aurait vécu la même conversion que moi. En arrivant ici, il ne serait pas devenu le représentant des pays émergents. Il serait devenu le directeur général d'une institution de 187 États membres. Un jour, il y aura un Mexicain ou un Asiatique à ma place ! Cela ne fait aucun doute. U. G. - 2012 s'annonce comme une année cruciale, aussi bien sur le plan financier que sur le plan politique : Barack Obama et Nicolas Sarkozy remettent leur mandat en jeu ; en Chine, une nouvelle équipe arrive au pouvoir ; le Mexique, qui sera en juin 2012 l'hôte du prochain G 20, connaîtra également des élections. Comment tenir la barre en cette période de forte incertitude ? C. L. - La situation économique, le bien-être des peuples, la création d'emplois, la croissance, le changement climatique : tous ces phénomènes s'inscrivent dans le temps et se moquent des cycles politiques et des élections. La force du FMI, c'est sa permanence : il a été fondé pour le bien collectif et pas pour une catégorie de pays, qu'ils soient « avancés », « émergents » ou autres. Il rassemble en son sein toute une série de compétences, de bonnes volontés et d'énergies dédiées à cet objectif-là. J'ai un mandat de cinq ans, et je compte bien le remplir. U. G. - Le fait d'être assurée de la durée vous confère-t-il une responsabilité supplémentaire ? C. L. - Ma mission, c'est de dire la vérité, même si elle n'est pas très plaisante à entendre, sur les questions économiques, monétaires et financières. C'est la mission qu'avaient définie les fondateurs du FMI. Elle me convient parfaitement ! Ma mission, c'est aussi de m'assurer que le FMI pourra remplir ses objectifs : 1) garantir la stabilité financière ; 2) permettre aux économies de créer de la croissance et de l'emploi ; 3) faire en sorte qu'au sein du Conseil d'administration de l'institution comme dans les relations avec les États membres il y ait un dialogue constant sur l'analyse de la situation économique, les politiques économiques et les effets positifs que ces politiques peuvent produire les unes sur les autres. Sur tous ces points, croyez-moi, il y a du travail ! U. G. - Parmi vos dix prédécesseurs, y en a-t-il un qui vous inspire particulièrement ? C. L. - Non. D'abord, le monde a changé et il ne sert à rien de transposer l'expérience d'untel ou d'untel. Ensuite, je pense qu'il faut s'inspirer des anciens, mais sans considérer que c'est un modèle à suivre parce que chacun a de bons et de mauvais côtés. Mieux vaut créer sa propre dynamique et son propre style. U. G. - Qu'est-ce que le « style Lagarde » au FMI ? C. L. - Il faudrait le demander aux autres ! Je suis frappée de la qualité des talents qui m'entourent : si je peux rassembler, former des équipes, définir une méthode pour parvenir à un résultat, avec le style de management qui est le mien, j'en serai très satisfaite. Ce sera ma marque de fabrique. U. G. - Et sur un plan plus personnel? C. L. - Un soupçon d'élégance peut-être. Même si l'on n'a pas besoin d'être une femme pour être élégant... U. G. - Vous …
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