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POUR UNE DIPLOMATIE ENGAGEE

Entretien avec Nicolas Sarkozy, Ancien Président de la République Française (2007 à 2012) par la Rédaction de Politique Internationale

n° 134 - Hiver 2012

Nicolas Sarkozy Politique Internationale - Monsieur le Président, quelle est celle de vos initiatives diplomatiques qui vous inspire le plus de satisfaction, voire de fierté ? Nicolas Sarkozy - Ce n'est pas en ces termes que se pose la question. Le sentiment de fierté personnelle ne doit jamais être le moteur de l'action ; encore moins son critère d'évaluation. On n'agit pas pour se sentir fier. On agit pour être utile aux intérêts de son pays, pour promouvoir ses valeurs et pour apporter des réponses aux problèmes et aux défis du monde. De ce point de vue, je crois que l'action internationale que j'ai menée au nom de la France, et que nous continuons de mener avec François Fillon et Alain Juppé, a été utile. Elle l'a été quand nous avons sorti l'Europe de l'impasse de la Constitution européenne grâce au traité simplifié, qui a permis de réformer les institutions de l'Union européenne après dix années de débats infructueux. Elle a été utile en réunissant, en octobre 2008, le premier sommet de la zone euro de l'Histoire afin d'adopter une réponse européenne commune face à la crise qui menaçait d'emporter tout le système bancaire mondial. Puis lorsque nous avons convaincu nos partenaires européens de mettre enfin en place le véritable gouvernement économique dont l'Europe et la zone euro avaient tant besoin ; lorsque nous les avons convaincus, aussi, de renforcer l'intégration des pays membres de la zone euro. Elle l'a été en proposant au monde le G20, qui a permis d'apporter une réponse concertée et coordonnée à la plus grave crise depuis la Grande Dépression de 1929. Cette action a été utile, aussi, en faisant de la France, au sein du G20, le pays le plus engagé en faveur de la moralisation du capitalisme, ce qui a permis des avancées sans précédent en matière de régulation, qu'il s'agisse de la lutte contre les paradis fiscaux, de l'encadrement des bonus, ou encore de la surveillance d'entités qui échappaient jusque-là à tout contrôle, comme les hedge funds. Elle l'a encore été lorsque, présidant le G20 en 2011, notre pays a mis sur la table des sujets essentiels, que personne n'avait voulu aborder jusqu'alors : la réforme du système monétaire international ; la sécurité alimentaire et la lutte contre la volatilité excessive des prix des matières premières agricoles ; ou encore lorsque nous avons placé pour la première fois la dimension sociale de la mondialisation au coeur des travaux du G20. Elle a été utile lorsque, exerçant la présidence de l'Union européenne, la France est intervenue à l'été 2008 pour faire cesser la guerre entre la Russie et la Géorgie. Ce qui a permis de préserver l'indépendance de cette jeune démocratie. Utile, aussi, quand nous avons aidé nos amis libanais à sortir de l'impasse politique ; quand nous avons aidé à mettre fin à la crise de Gaza début 2009 ; ou quand nous avons défendu la démocratie ivoirienne et protégé le peuple ivoirien après le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale. Utile, encore, lorsque nous avons sauvé in extremis la population de Benghazi du bain de sang que Kadhafi lui avait promis et assumé le leadership de l'opération internationale qui a aidé le peuple libyen à briser les chaînes de 42 années de dictature ; ou lorsque nous avons mobilisé la communauté internationale dans le soutien aux « printemps arabes » en lançant le Partenariat de Deauville durant notre présidence du G8. Je pourrais encore vous parler du rôle moteur de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, avec l'adoption par les 27 pays de l'Union européenne du paquet « énergie-climat », qui est aujourd'hui le seul plan complet et cohérent qui soit juridiquement contraignant... P. I. - Si vous pouviez remonter le temps, y a-t-il une action que vous auriez conduite différemment ? N. S. - En politique, s'il est essentiel de savoir tirer les leçons, il faut se méfier des évidences a posteriori ; de ces vérités tellement aveuglantes après coup que personne n'avait pensé à les prédire. Comprenez-moi bien : je ne dis pas qu'aucune erreur n'a été commise - qui n'en fait pas ? ; je ne dis pas qu'il n'y a pas des choses que nous aurions pu, ou dû, faire différemment. Lorsqu'on exerce ces fonctions pendant les cinq ans d'un mandat présidentiel, confronté aux crises et aux épreuves, inévitablement on change, on apprend, on évolue dans son approche des problèmes. Mais, lorsqu'on regarde les choses rétrospectivement, il faut toujours se rappeler dans quelles circonstances et avec quels objectifs telle ou telle décision a été prise. Prenez l'exemple de la venue de Kadhafi à Paris. Cette visite a été critiquée. On me l'a reprochée. Pourtant, à l'époque, il y avait un consensus international pour considérer qu'il fallait dialoguer avec la Libye. Une Libye qui avait abandonné ses programmes d'armes de destruction massive, renoncé au terrorisme et accepté d'en indemniser les victimes. C'est aussi ce dialogue qui a permis la libération des cinq infirmières bulgares et du médecin palestinien qui avaient été condamnés à mort pour des crimes qu'ils n'avaient pas commis. Et cela n'a pas empêché la France d'être la première à envoyer ses avions arrêter les chars de Kadhafi qui menaçaient la population de Benghazi de « rivières de sang ». P. I. - De la même manière, on vous a reproché d'avoir tendu la main à Bachar al-Assad en 2008. Avec le recul, regrettez-vous ce geste ? N. S. - Le dialogue que nous avons renoué avec la Syrie était - là encore - un dialogue exigeant, conditionné par l'obtention d'avancées concrètes, en particulier sur le dossier libanais. C'est d'ailleurs parce que je ne voyais aucun progrès significatif que j'avais décidé, en décembre 2007, de mettre fin à ce rapprochement avec Damas. Et ce n'est que lorsque les choses ont réellement avancé sur le dossier libanais et que les attentats au Liban ont cessé que nous l'avons repris. Aurait-on pu mettre fin à la crise politique libanaise s'il n'y avait pas eu …