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POUR UNE TRANSITION REUSSIE

Entretien avec Abdel Halim Khaddam, Ancien vice-président de la Syrie (1984-2000) par Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro

n° 134 - Hiver 2012

Abdel Halim Khaddam Isabelle Lasserre - Est-ce la fin du régime de Bachar al-Assad ? Abdel Halim Khaddam - Nous assistons, en effet, au début de la chute du régime. Après dix mois de révolte, celui-ci commence à s'épuiser. En commettant tous ces crimes, le clan au pouvoir s'est placé en situation de guerre vis-à-vis du peuple, dont il est devenu l'ennemi. Les choses sont allées tellement loin que plus jamais les Syriens ne pourront accepter de revenir en arrière. Malgré la violence de la répression, le peuple a tenu bon. Il réclame la chute du régime et exige que les responsables de ces atrocités soient jugés. Mais tout le monde est désormais conscient que si le régime s'accroche trop longtemps, les Syriens seront obligés de prendre les armes pour se défendre. Si nous en arrivons à cette extrémité, ce sera le chaos garanti. La région entière pourrait être déstabilisée. La deuxième raison qui me fait croire que la fin du régime approche, c'est que les opinions publiques des pays arabes ont commencé à bouger. Les gouvernements de ces pays ne peuvent plus l'ignorer. Enfin, il existe une véritable scission au sein de l'armée syrienne. Les militaires réalisent que les responsables politiques les ont placés dans une position très délicate. Ils sont désormais persuadés que le régime actuel ne pourra pas s'éterniser. Alors pourquoi continueraient-ils à commettre des exactions contre les civils ? I. L. - Quels sont les hommes forts en Syrie aujourd'hui ? A. H. K. - Le principal responsable est, bien sûr, Bachar. C'est lui qui est à la manoeuvre. Il croit que la violence le protège. Mais on ne peut pas blanchir ceux qui l'entourent. Ils sont ses associés, ses complices ; ils l'aident à faire exécuter les ordres. Parmi eux il y a Maher al-Assad (2), son frère, qui règne sur la sphère militaire, son cousin Rami Makhlouf (3) qui gère les finances et l'économie et Hafez Makhlouf (4), un autre cousin, qui s'occupe des questions de sécurité. La répression est conduite par une poignée d'hommes : les directeurs des services de sécurité et une dizaine d'officiers appartenant à la famille de Bachar. I. L. - Quels sont les piliers du régime ? A. H. K. - Le régime s'appuie sur tous ceux qui ont du sang sur les mains. Ils restent parce qu'ils ont peur. Ils ont pillé la Syrie. Il s'agit des proches et des cousins de Bachar. Son clan est aussi composé de quelques hommes d'affaires que lui et sa clique ont utilisés pour gérer leur business. Ces gens sont connus et figurent sur les listes noires de l'Union européenne (5) et des États-Unis. I. L. - Pensez-vous que la communauté internationale devrait intervenir militairement en Syrie ? A. H. K. - De nombreux manifestants réclament désormais une intervention pour les aider à bâtir une Syrie libre et démocratique. Personnellement, je le demande depuis plusieurs mois déjà. À l'époque, j'avais été critiqué par l'opposition syrienne... Le peuple est confronté à une armée entière. Chaque jour, des martyrs tombent sous les balles des forces de sécurité. Ceux qui sont hostiles à une opération militaire sont ceux qui vivent confortablement à l'étranger. Le peuple syrien est massacré par une armée qui avait été conçue pour assurer sa défense. Une armée qui, soit dit en passant, est épaulée par des unités iraniennes et ravitaillée en armes par le régime de Téhéran (6). Pourquoi les manifestants n'auraient-ils pas le droit, eux aussi, de se faire aider ? C'est une demande légitime à laquelle la communauté internationale se doit de répondre positivement. La résistance française aurait-elle pu venir à bout de l'occupation nazie sans l'intervention des Américains pendant la Seconde Guerre mondiale ? I. L. - Quel rôle jouez-vous dans la résistance ? A. H. K. - Mon rôle est très simple. Je cherche à unir les forces vives de la résistance pendant la période de transition. C'est l'objectif du Comité national de soutien à la révolution syrienne (CNSRS) que nous venons de mettre en place. La résistance extérieure est formée d'une quinzaine de groupes, dont les deux plus importants sont le CNSRS et le Conseil national syrien. Le CNSRS, dont les 60 membres fondateurs sont pour la plupart issus de la société civile, est solidement implanté à l'intérieur du pays. De nombreux responsables de régions nous ont ralliés. Si nous ne parvenons pas à réunir l'opposition extérieure et intérieure, les conséquences seront graves pour l'avenir du pays. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à tous les groupes d'engager un dialogue et de travailler ensemble à la reconstruction du pays. Mais le mouvement que j'ai créé n'est pas un parti politique ; il n'est pas, non plus, un groupe de commandement. Il vise juste à prêter main-forte aux insurgés. Pour le reste, nous ne demandons ni la suppression brutale de toutes les institutions ni le démantèlement de l'État, mais seulement le départ des hommes qui gouvernent aujourd'hui la Syrie. Nous n'allons pas déployer l'armée dans les rues ni chasser tous les fonctionnaires. Nous poursuivrons uniquement les dirigeants qui ont commis des crimes à Damas et en province, au premier rang desquels Bachar et son clan. Nous voulons libérer notre patrie des résidus de ce système, débarrasser l'État des individus qui ont aidé le régime à commettre ces crimes. Puis assainir les institutions afin de permettre une transition dans la continuité. I. L. - Quel régime envisagez-vous pour l'après-Bachar al-Assad ? A. H. K. - Comme je viens de vous le dire, notre priorité sera d'assurer la transition entre le régime actuel et la démocratie. Il faudra organiser des élections et rédiger une nouvelle Constitution. Les libertés collectives et individuelles devront être garanties. Le pouvoir exécutif devra cesser d'être concentré dans les seules mains du président de la République. Il sera confié à un conseil des ministres et soumis au contrôle du Parlement. Un vrai régime parlementaire avec une pluralité de partis politiques serait la meilleure chose pour la Syrie. Car, chaque fois que nous avons essayé d'autres régimes, la …