Les Grands de ce monde s'expriment dans

REENCHANTER L'EUROPE

Entretien avec Viviane Reding par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris

n° 135 - Printemps 2012

Viviane Reding Baudouin Bollaert - L'Union européenne traverse une période difficile. On parle sans cesse de « crise européenne ». Croyez-vous que le projet de traité de discipline budgétaire signé par 25 pays sur 27 sera suffisant pour sortir de l'impasse ? Viviane Reding - Je n'aime pas l'expression « crise européenne ». Ce n'est pas l'Europe en tant que telle qui est en crise. Les déficits et l'endettement vertigineux de certains pays membres ne lui sont pas imputables. Quant à l'euro, grâce à Dieu, il se porte bien. C'est la deuxième monnaie au monde, une monnaie forte et non pas une monnaie molle. S'il y a crise, c'est une crise de crédibilité et de confiance. En un mot comme en cent, une crise de la politique. B. B. - La confiance s'est évaporée ? V. R. - La confiance placée par les citoyens de l'Union dans les institutions européennes est encore élevée, plus élevée que celle qu'ils placent dans leurs gouvernements nationaux. Mais les sondages indiquent qu'elle recule dans les deux cas, de façon parallèle. Et si la Commission européenne, par exemple, bénéficie d'une meilleure cote dans les enquêtes d'opinion que le gouvernement français, je ne peux pas m'en satisfaire. La démocratie ne peut fonctionner que si les électeurs ont confiance dans leurs représentants. Or, trop souvent, ce n'est plus le cas. D'où un grave problème de crédibilité de la classe politique. Le phénomène est général. B. B. - Donc, si je vous comprends bien, le Conseil européen - composé des chefs d'État et de gouvernement des 27 pays membres de l'Union - est en train de perdre ou a déjà perdu la confiance des citoyens... V. R. - Absolument ! B. B. - Alors que faut-il faire ? Réformer le Conseil européen ? V. R. - En fait, le Conseil européen demeure une abstraction pour la plupart des citoyens de l'Union. Les gens, qu'ils soient français, luxembourgeois, britanniques ou maltais, ne pensent pas « Conseil européen », mais « mon gouvernement ». Qu'est-ce que « mon gouvernement » a obtenu dans les négociations bruxelloises ? Et quand ils pensent « Europe », ils ne font pas la distinction entre les différentes institutions européennes existantes : le Conseil, la Commission, le Parlement... Ce qu'ils désirent, ce sont des résultats ! Je ne veux donner de leçons à personne et je ne distribue pas de bonnes et de mauvaises notes. Mais je constate que la confiance des citoyens de l'Union dans leurs dirigeants - tant nationaux qu'européens - est partout en recul. Et je trouve cela à la fois grave et dangereux. B. B. - Que préconisez-vous ? V. R. - J'ai proposé de faire de l'année 2013 l'année européenne du citoyen. Parce que nous devons retourner sur le terrain, au plus près des électeurs. La façon dont nous faisons l'Europe - je dis « nous » de manière globale - ne suffit plus. Il faut voir les gens, leur parler, leur poser des questions. Début mai, nous avons lancé une vaste consultation sur le thème : « L'Europe pour vous, qu'est-ce que c'est ? » ; « Si vous êtes déçus, pourquoi ? » ; « Quels sont vos rêves ? » ; « Que voudriez-vous que nous réalisions à l'avenir ? », etc. Pendant un an, tous les élus - qui ont souvent une triple responsabilité locale, nationale et européenne - seront ainsi à l'écoute des citoyens et auront la possibilité de répondre à leurs attentes. Je compte beaucoup sur la communauté des internautes - qui ne figure dans aucun de nos systèmes de fonctionnement ! - pour animer les débats. Tout le monde doit s'y mettre. Il s'agit d'un effort collectif qui, avant les élections européennes de 2014, portera, je l'espère, ses fruits. B. B. - Ne pensez-vous pas que de nombreux citoyens européens se sont sentis trahis quand des projets de traité rejetés par la voie référendaire ont été finalement « repêchés » par la voie parlementaire, moyennant quelques petites modifications ? N'a-t-on pas confisqué leur vote ? V. R. - Je ne veux pas dire qu'il faut interdire les référendums, mais encore faut-il poser les bonnes questions ! Ce qui me gêne, c'est que les référendums servent souvent de défouloir... Dans mon esprit, l'année européenne du citoyen doit justement permettre à chacun de s'exprimer sur la manière d'organiser la vie en commun sur notre continent. Après cette contribution venue de la base, il appartiendra aux partis politiques de prendre le relais pour les élections européennes. C'est leur rôle. Par la suite, je souhaite que le nouveau Parlement élu et la nouvelle Commission organisent une convention pour établir un nouveau traité. B. B. - Encore un nouveau traité ? V. R. - Oui, à l'horizon 2020... Il faudra prendre le temps nécessaire pour refondre tous les amendements et traités complémentaires approuvés depuis Maastricht et répondre à cette question : « Voulez-vous ou non d'une Europe politique ? » La question est très concrète et très claire. Du coup, la ratification par voie référendaire - même dans les pays dont ce n'est pas la tradition - me semble souhaitable. Le nouveau traité entrerait en vigueur si au moins deux tiers des pays membres répondaient « oui ». B. B. - Et que deviendront les pays qui auront dit « non » ? V. R. - Ils pourront bénéficier des accords commerciaux du marché unique si telle est leur volonté, ou se retirer. Mais il ne faut plus de dérogations. Nous devons trancher entre une véritable Europe politique et un grand marché. Moi, je suis clairement en faveur d'une Europe politique. Vous savez, la construction européenne a toujours avancé sous l'aiguillon des crises. Après la chute du mur de Berlin, il y a eu la monnaie unique et l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, deux décisions historiques. Aujourd'hui, la situation économique et financière nous a conduits à prendre en six mois les décisions que nous avions laissées traîner durant dix ans. Pourtant, la plupart des mesures étaient prêtes et …