Les Grands de ce monde s'expriment dans

ISRAEL : L'HOMME LE MIEUX INFORME DU MONDE...

Entretien avec Meïr Dagan, Ancien directeur du Mossad (2002-2010) par Aude Marcovitch, correspondante de Politique Internationale en Israël.

n° 136 - Été 2012

Meïr Dagan Aude Marcovitch - Monsieur Dagan, vous avez été à la tête du service de renseignement extérieur d'Israël, le fameux Mossad, pendant huit ans - des années qui n'ont pas été neutres pour le Moyen-Orient. Comment percevez-vous l'évolution des menaces qui pèsent sur votre pays ? Meïr Dagan - Je préfère parler de « défis » plutôt que de « menaces ». Les menaces, en effet, sont des choses dont nous devons avoir peur, alors que les défis portent en eux l'idée d'une occasion à saisir. Ce que l'on qualifie inexactement de « printemps arabe » contient cette idée de chance à capter. Et cela, quelles que soient les incertitudes dont ces événements sont porteurs. L'expression « printemps arabe » est une référence au printemps des peuples qui a fleuri en Europe en 1848 et qui a conduit à la création de nouveaux États, dans une ambiance où naissaient des idées telles que le libéralisme ou le nationalisme. Je ne crois pas que ce que nous observons aujourd'hui dans le monde arabe soit proche de ce qui s'est produit dans l'Europe du xixe siècle. Personnellement, j'estime qu'il faut diviser les régimes existant dans le monde arabe en deux groupes : d'un côté, les monarchies qui, en général, jouissent d'une situation politique relativement stable ; de l'autre, les pouvoirs issus d'un coup d'État militaire. Généralement, il s'agit d'anciennes monarchies renversées par la force. Ces régimes nés d'un putsch souffrent d'un défaut de légitimité, une large partie de la population n'ayant jamais accepté la venue au pouvoir d'un groupe de militaires. Ce qui explique que, lorsque leur position est ébranlée, la situation évolue vers des violences intérieures, des bains de sang, comme on l'a vu en Libye, au Yémen, en Égypte et actuellement encore en Syrie. Dans les royaumes, à l'inverse, les dirigeants sont issus de longues lignées qui ont formé des alliances avec les familles locales les plus puissantes, avec les différentes tribus, comme par exemple en Jordanie. D'où leur relative stabilité. Le processus du « printemps arabe » ne conduit pas nécessairement à la démocratie dans les pays qui l'ont connu mais, plutôt, à un changement de pouvoir. Or les groupes les mieux organisés, ce sont les islamistes. A. M. - Lorsque vous dirigiez le Mossad, vous avez été l'une des personnes les mieux informées du monde... Aviez-vous perçu, alors, tous ces bouleversements ? Vos services avaient-ils prévu que la révolte de la rue arabe finirait par faire tomber plusieurs régimes ? M. D. - Nous avions observé la prise en main des activités sociales par les organisations islamiques - ce qui, soit dit en passant, n'était un secret pour personne. Nous savions quelles étaient les forces d'opposition aux régimes. Mais s'agissant des événements conduits par la rue, je ne peux pas être aussi affirmatif. Un processus dirigé par la foule est difficile à lire : vers quoi se dirige la foule ? Comment va-t-elle se comporter en fonction des événements ? Ce n'est pas aisé à décrypter. A. M. - Avez-vous été surpris par la capacité de ces foules à s'insurger, par la détermination avec laquelle elles ont mis à bas des régimes qui, pourtant, semblaient solides ? M. D. - Non, je n'ai pas été étonné. Les soulèvements ont été nourris non seulement par le défaut de légitimité de ces pouvoirs datant des années 1950, mais aussi par la crise économique mondiale. Prenons l'Égypte, par exemple. Ces dix ou vingt dernières années, l'exode rural en direction du Caire n'a fait que s'accroître. Beaucoup de ces nouveaux venus n'ont toujours pas de travail ni de toit pour se loger. Certains passent leur temps à fouiller les décharges à ordures, parfois même ils y vivent. Ils n'ont plus d'attentes, pas d'avenir. Alors que le nombre officiel d'habitants du Caire est de dix millions de personnes, le chiffre réel est le double. Parallèlement, le seul endroit où ces gens peuvent trouver refuge, c'est la mosquée. Là, ceux qui prêchent relaient le discours des islamistes. Ajoutez à cela le haut niveau de corruption de ces pays : vous disposez alors d'une formule très inflammable qui peut exploser à n'importe quel moment. À la question « saviez-vous à quel moment la marmite allait exploser ? », la réponse est non. À la question « saviez-vous qu'elle risquait d'exploser ? », la réponse est oui. A. M. - Pensez-vous que l'accord de paix entre l'Égypte et Israël, signé en 1978 par Anouar el-Sadate et Menahem Begin, est en danger ? Tous les candidats à la présidentielle égyptienne l'ont évoqué : certains ont dit qu'ils l'abrogeraient, d'autres qu'ils le réviseraient.... M. D. - Je ne vois pas de danger immédiat. Je pense que l'Égypte va être occupée assez longtemps par ses problèmes internes. Or, abroger le traité avec Israël ne ferait qu'augmenter ses problèmes économiques, tout en isolant le pays. L'Égypte vit une crise économique profonde. Le tourisme est très affecté par les événements, le trafic maritime dans le canal de Suez décline du fait de l'augmentation de la piraterie en Somalie, les investissements sont en baisse à cause de l'incertitude qui pèse sur la situation politique. Sans oublier que l'Égypte arrive à la fin de ses ressources en gaz et en pétrole. Bref, la priorité du pays, aujourd'hui, est de faire respecter l'ordre et d'établir une nouvelle Constitution ; l'accord de paix avec Israël ne fait certainement pas partie des priorités. Je n'exclus pas que les autorités égyptiennes tentent de rectifier le traité et recourent à une rhétorique plus martiale dès lors qu'Israël sera en cause. Mais ce ne sera pas décisif. De toute façon, les Égyptiens n'ont jamais été d'immenses supporters d'Israël. La véritable inconnue, pour ce qui est du présent, c'est : que feront les militaires au lendemain de l'élection présidentielle, et comment les Frères musulmans réagiront-ils ? Bien qu'ils s'appuient sur une base idéologique religieuse, les Frères musulmans agissent de manière rationnelle ; ils savent très bien qu'ils ont besoin des liens avec l'Occident pour le développement économique de leur pays. En …