Entretien avec
Dennis Ross, Diplomate américain.
par
Dan Raviv, correspondant de la radio CBS à Washington, ancien correspondant à Londres et au Moyen-Orient.
et
la Rédaction de Politique Internationale
n° 136 - Été 2012
Politique Internationale - Monsieur Ross, 2012 est l'année de l'élection présidentielle aux États-Unis. Sera-t-elle également décisive pour ce qui concerne le dossier de la nucléarisation de l'Iran ? Dennis Ross - Ce qui est sûr, c'est que ce dossier constitue une préoccupation majeure de l'administration actuelle depuis le premier jour. Lors de sa première année de mandat, le président Obama a eu de nombreuses rencontres et discussions téléphoniques avec le président russe Dmitri Medvedev et son homologue chinois Hu Jintao. Chaque fois, l'Iran était au centre des débats. Le président a parfaitement compris qu'il était urgent de tout faire pour modifier l'attitude de Téhéran. C'est pourquoi il a essayé d'engager un dialogue direct avec les autorités iraniennes. Hélas, cet effort s'est révélé infructueux... Mais il n'aura pas été vain : chacun a pu constater la bonne volonté américaine et l'obstination iranienne. Il est d'autant plus facile, désormais, de mobiliser la communauté internationale pour mettre Téhéran sous pression. Aucun pays ne veut voir l'Iran se doter de l'arme nucléaire. Aussi longtemps que les Iraniens n'auront pas pris de mesures tangibles visant à montrer qu'ils sont prêts à se contenter du nucléaire civil et qu'ils acceptent la mise en place de pare-feu infranchissables qui les empêcheront d'accéder au nucléaire militaire, la pression doit continuer de croître. Les Iraniens doivent comprendre que l'approche diplomatique ne durera pas éternellement et que la communauté internationale dans son ensemble n'a nullement l'intention de prolonger indéfiniment des négociations dont Téhéran profite pour approfondir ses ambitions nucléaires. Les négociations offrent aux Iraniens une porte de sortie qui leur permet de sauver la face, mais ils doivent accepter nos exigences ou en souffrir les conséquences. P. I. - La tension autour du programme nucléaire iranien est plus palpable que jamais. Sur quel aspect de la crise la communauté internationale doit-elle concentrer prioritairement son attention ? D. R. - L'élément le plus important, en ce moment, c'est la façon dont les Israéliens perçoivent la situation. Ils ont l'impression que si rien n'est fait rapidement, ils ne pourront plus faire jouer l'option d'une intervention militaire. Pour une raison simple : une fois que l'Iran sera doté de l'arme nucléaire, Israël ne pourra plus l'attaquer, de crainte de subir des représailles atomiques... Il faut bien comprendre que, aux yeux d'Israël, le programme nucléaire iranien représente une menace existentielle. Autrement dit : les Israéliens estiment que si l'Iran obtient la maîtrise du nucléaire militaire, leur existence même sera en grand danger. Comment, dans ces conditions, ne pas prendre très au sérieux l'éventualité d'une intervention militaire israélienne visant à détruire le programme nucléaire de l'Iran avant qu'il ne soit trop tard ? P. I. - N'est-ce pas un discours que l'on entend depuis plusieurs années ? D. R. - Vous avez raison. Ce sentiment n'est pas nouveau. Je tiens cependant à souligner que, en 2009-2010, les Israéliens ont mis un bémol à leur inquiétude : ils semblaient reconnaître que nous parvenions à perturber le développement du programme iranien grâce aux sanctions sur les technologies duales (c'est-à-dire celles susceptibles d'avoir un usage aussi bien civil que militaire). Les sanctions ont, en effet, de nombreuses dimensions. La plupart des gens ne voient dans les sanctions qu'un ensemble de pressions économiques ; mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres. Les mesures portant sur les technologies duales ont limité la capacité de l'Iran à produire des centrifugeuses de dernière génération. Téhéran a besoin de pouvoir développer ces centrifugeuses en fibre de carbone. Pour y parvenir, les Iraniens doivent importer les matériaux nécessaires. Ils ont également besoin de machines de haute précision - des machines qu'ils ne peuvent pas acquérir non plus, toujours du fait des sanctions. Or ces machines, ils ne peuvent pas les construire eux-mêmes... P. I. - Vous semblez sûr de vous en ce qui concerne l'efficacité des sanctions ; mais l'expérience montre que ces mesures peuvent être contournées par des filières clandestines. À l'heure où nous parlons, les Iraniens ont peut-être déjà réussi à obtenir les divers éléments que vous évoquez... D. R. - Si c'était le cas, ils seraient en train de produire les équipements dont ils ont besoin... Or ils essaient, depuis maintenant dix ans, de construire des centrifugeuses qui n'explosent pas toutes seules, et ils n'y parviennent pas. Je ne pense pas que leurs échecs en la matière s'expliquent uniquement par leurs lacunes scientifiques et techniques. Ils ont, aussi, des difficultés à acquérir les matériaux indispensables. Nous avons réussi, dans une certaine mesure, à perturber leur programme. Il n'empêche que, malgré ces complications, les Iraniens continuent de faire des progrès... P. I. - Le gouvernement israélien fait tout ce qu'il peut pour internationaliser la question. Il souligne que son pays n'est pas le seul qui serait menacé par un Iran nucléarisé. Estimez-vous que les Israéliens ont réussi à convaincre le reste du monde ? D. R. - Il est clair qu'Israël préfère jouer « le monde contre l'Iran » plutôt qu'« Israël contre l'Iran ». D'ailleurs, plus Israël se montre impatient de passer à l'acte, plus les autres acteurs ont tendance à se mobiliser pour faire aboutir la voie diplomatique. On dit souvent que lorsque les Israéliens souhaitent passer à l'action, ils n'ont pas pour habitude de l'annoncer ! P. I. - Voulez-vous dire que s'ils en parlent autant, c'est parce qu'ils ne lanceront probablement pas d'opération ? D. R. - C'est ce que l'Histoire nous enseigne souvent. Mais l'Histoire ne se répète pas toujours... Fondamentalement, je pense que l'activisme israélien sur la scène internationale répond à deux objectifs principaux. Le premier, et le plus important, est d'inciter les acteurs internationaux à faire monter la pression sur Téhéran. Le second est de préparer le monde à une éventuelle intervention : si Israël finit par passer à l'attaque, personne n'en sera surpris. P. I. - Êtes-vous impressionné par la manière dont Israël gère cette crise ? D. R. - Le fait est que la pression imposée aujourd'hui à l'Iran aurait été difficile à imaginer il y a quelque temps. L'Union européenne a pris …
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