Entretien avec Didier Reynders, ministre belge des Affaires étrangères par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris
Baudouin Bollaert - Le résultat de l'élection présidentielle en France ne peut pas laisser indifférent un Wallon, un Belge et un Européen comme vous. Qu'en pensez-vous ?
Didier Reynders - En tant que Belge francophone, je salue la décision démocratique d'un pays souverain. Cette campagne a permis aux Français d'exprimer la diversité de leurs opinions en discutant de sujets jugés trop souvent tabous : l'immigration, la sécurité, le vivre ensemble... Le résultat final est très équilibré et a permis de désigner un gagnant : François Hollande. En tant qu'Européen, je relativise les conséquences d'un changement de majorité dans un État membre parmi vingt-sept. Le traité budgétaire ne sera pas renégocié, mais complété - comme je l'espère - par la voie communautaire, afin de favoriser la croissance. Avant l'élection française, la croissance était déjà au coeur de la politique européenne, avec le programme de stabilité et de croissance, avec la stratégie UE2020 (1) ou encore avec l'Euro Pact + (2). La croissance ne se décrétant pas, il faut favoriser l'investissement et les réformes structurelles au sein des États membres, sans augmenter les dépenses de fonctionnement et sans remettre en cause la stabilité.
B. B. - Les dossiers économiques et financiers sont prioritaires partout en Europe : entre la nécessaire rigueur et l'aide à la croissance, où placer le curseur ?
D. R. - Mon analyse est simple : nous devons en revenir à ce qui avait été prévu lors de la création de l'euro, c'est-à-dire la mise en place d'un pacte de stabilité et de croissance. Comme son nom l'indique, le pacte liait déjà les deux faces de la médaille. Mais, on l'oublie parfois, il avait été affaibli au milieu des années 2000 par le quasi-abandon, à la demande de la France et de l'Allemagne, des critères de Maastricht dont les deux principaux sont un déficit public inférieur à 3 % et une dette publique sous la barre des 60 % du PIB... Nous retournons donc aux fondamentaux. La crise bancaire et la crise de la dette souveraine, la situation en Grèce, en Irlande, au Portugal ou en Espagne, tout cela a conduit les pays de la zone euro à se pencher en priorité sur le volet « stabilité ». De ce point de vue, le travail accompli nous a permis de renforcer l'objectif à moyen terme d'équilibre des finances publiques grâce, notamment, à la création du Mécanisme européen de stabilité (MES). Nous allons dans la bonne direction, même s'il faudrait à mon avis en faire plus...
B. B. - Dans quels domaines ?
D. R. - Je pense à l'inscription de la « règle d'or » (3) dans les constitutions nationales ou à la possibilité pour la Commission européenne d'intervenir dans les budgets nationaux en cas d'anomalie... Quand, par exemple, la Commission européenne interdit la fusion boursière de Nyse Euronext et Deutsche Börse, tout le monde doit s'incliner ; en revanche, si la Grèce dérape sur le plan budgétaire, la Commission n'a aucun moyen d'agir... Est-ce normal ? Je pense qu'il faut renforcer les pouvoirs de l'exécutif bruxellois en la matière.
B. B. - Comment réussir pour la croissance ce que l'on a déjà tenté pour la stabilité ?
D. R. - Nous avons trois outils sous la main pour agir rapidement : d'abord, le budget européen. On peut l'orienter davantage vers la recherche et le développement. Ensuite, des programmes d'investissements qui pourraient reposer sur des project bonds. Il ne s'agit pas exactement d'euro-obligations, mais d'emprunts gagés sur le budget communautaire pour financer des projets européens précis. Enfin, le marché intérieur qu'on doit renforcer car il est encore trop fermé. Un exemple : je parlais récemment avec Gérard Mestrallet, le PDG de GDF-Suez, de l'appel d'offres du gouvernement français pour l'installation de quelque 600 éoliennes au large de vos côtes. Or, il n'y a pratiquement que des entreprises françaises en lice... Étonnant, non ? L'ouverture des marchés publics à la concurrence européenne reste un des éléments de la mise en place du marché intérieur les plus délicats à mettre en oeuvre.
B. B. - Vous dites que le budget européen pourrait servir à relancer la croissance. José Manuel Barroso, le président de la Commission, a proposé de l'augmenter de 6,8 % l'an prochain afin de respecter le cadre financier 2007-2013. Mais vous savez bien que les « grands pays » de l'Union - Allemagne, France et Grande-Bretagne en tête - s'y opposent...
D. R. - J'estime que la proposition de la Commission actuellement sur la table est raisonnable et équilibrée. Cela dit, même s'il est difficile d'augmenter ce budget - qui ne représente pourtant que 1 % de la richesse globale de l'Union - compte tenu des difficultés actuelles des États membres, on peut au moins l'orienter différemment. Les pourcentages affectés aux fonds de cohésion, à l'agriculture ou à la recherche ne sont pas immuables. À enveloppe équivalente, il est possible de mieux distribuer l'argent afin d'encourager la croissance et l'emploi.
B. B. - Les Allemands sont-ils favorables aux project bonds ?
D. R. - Oui, car contrairement aux euro-obligations qui pourraient ne servir à leurs yeux qu'à couvrir les dettes des pays trop dépensiers, les project bonds ont pour but de financer de façon intégrée un ensemble d'investissements définis à l'avance.
B. B. - Dans ce contexte, la Banque européenne d'investissement n'est-elle pas sous-employée ?
D. R. - Exact. La Banque européenne d'investissement peut jouer un rôle plus important dans ce domaine. À l'instar du commissaire aux affaires économiques, Olli Rehn, Angela Merkel s'est prononcée, dès le mois d'avril, pour un renforcement des capacités de la BEI. Les prêts octroyés par la BEI devront être plus efficaces, aussi favorables que possible à la croissance structurelle et orientés vers les petites et moyennes entreprises.
B. B. -Vous en avez parlé, mais j'y reviens : une renégociation du traité de discipline budgétaire adopté par 25 pays de l'Union sur 27, mais non encore ratifié, vous paraît-elle possible et/ou souhaitable ?
D. R. - Je pense que, lorsque François Hollande en parle, …
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