Les Grands de ce monde s'expriment dans

SANT'EGIDIO : DES DIPLOMATES TRES DISCRETS...

Entretien avec Andrea Riccardi, Ministre italien de la Coopération internationale et de l'Intégration par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie

n° 136 - Été 2012

Andrea Riccardi Richard Heuzé - Vous êtes, depuis novembre dernier, ministre de la Coopération internationale et de l'Intégration au sein du gouvernement dirigé par le professeur Mario Monti (1). Comment concevez-vous cet engagement ? Andrea Riccardi - N'oubliez pas que je suis aussi ministre de la Famille, des Jeunes et du Service national volontaire (2). Et que je suis chargé de la lutte contre le racisme et contre la drogue ! Dans un cabinet restreint de treize ministres comme celui de Mario Monti, il est normal que les responsabilités se cumulent. Cela dit, la coopération internationale et l'intégration sont naturellement mes champs d'action les plus importants. R. H. - Votre entrée dans le gouvernement Monti a beaucoup surpris. Vous aviez résisté jusqu'ici à ceux qui vous invitaient à rejoindre un gouvernement démocrate-chrétien (3) ou encore à présenter votre candidature à la mairie de Rome. Pourquoi avez-vous changé d'avis ? A. R. - Mon pays traverse une crise très grave. J'étais convaincu que si l'Italie sortait de l'euro, le système européen dans son ensemble serait remis en cause. Je ne le voulais pas. C'est la raison pour laquelle je me suis engagé. À travers ce poste de ministre, c'est un peu comme si j'accomplissais mon service militaire envers ma patrie et envers l'Europe ! R. H. - On dit que le président de la République, Giorgio Napolitano, s'est personnellement attaché à vous convaincre... A. R. - On le dit, en effet. Il m'a reçu plusieurs fois depuis ma nomination. C'est très intéressant pour un ministre de pouvoir rencontrer le chef de l'État en tête à tête, de lui confier ses problèmes et d'expliquer son approche. Son autorité et son expérience me sont très précieuses. R. H. - Mario Monti a été appelé à prendre la tête du gouvernement en novembre 2011 dans un contexte de crise financière aiguë. Il avait pour mandat d'assainir les comptes publics et de rétablir la crédibilité de l'Italie sur les marchés financiers. Diriez-vous qu'il a rempli son contrat ? A. R. - Tout ce qui a été fait jusqu'à présent a permis à l'Italie d'éviter la faillite. En outre, le gouvernement a pris des décisions courageuses qui devraient permettre de parvenir à l'équilibre budgétaire dans un délai conforme aux engagements pris à l'égard de l'Europe. Ces mesures comportent des coupes et des sacrifices budgétaires. Cela ne fait plaisir à personne, bien sûr. C'est pourtant le chemin obligé si nous ne voulons pas que l'Italie perde le défi de la mondialisation. R. H. - Quels sont les principaux obstacles que vous rencontrez dans l'accomplissement de votre mission ministérielle ? Quels objectifs vous êtes-vous fixés pour avril 2013, qui marquera le terme de la législature ? A. R. - Tout dirigeant qui prend les rênes de l'Italie se trouve face à un système de pouvoir vieillissant, usé, incapable de produire des idées nouvelles et d'exprimer une vision de l'avenir. Le phénomène va bien au-delà de la sphère politique : il concerne l'ensemble de la société italienne et se répercute inévitablement sur les institutions. Les réformes et le changement se heurtent partout à de fortes résistances. Pourtant, la crise nous a montré que nous ne pouvons plus vivre de nos rentes de situation et que la défense des intérêts particuliers passe par celle de l'intérêt général. R. H. - Comment concevez-vous votre rôle au sein du gouvernement ? Comme une contribution purement « technique » ou comme un engagement politique ? A. R. - J'ai temporairement renoncé à toutes mes autres activités parce que j'ai senti ce besoin de faire quelque chose pour mon pays en ce moment difficile. Le terme « technique » donne une idée de froideur qui ne correspond ni à ce que je suis ni à ce que sont mes collègues du gouvernement, à commencer par le président du Conseil Mario Monti. Nous faisons tous notre travail avec passion ; ce sont le sens du devoir et l'amour de l'Italie qui nous animent. R. H. - L'austérité que le gouvernement doit imposer en ces temps de grande difficulté est-elle compatible avec la notion de solidarité sociale ? A. R. - Si l'Italie devait faire banqueroute, le système de santé, l'école, la prévoyance sociale, tout cela sauterait. Les riches peuvent se payer des cliniques privées. Les autres ne le peuvent pas. C'est en ce sens qu'il me paraît erroné d'opposer rigueur budgétaire et solidarité. R. H. - Craignez-vous que les partis politiques se livrent à une surenchère dangereuse pour l'action du gouvernement ? Quel type de coopération un gouvernement « technique » comme le vôtre peut-il attendre d'eux ? A. R. - Les partis sont nécessaires. Sans eux il n'y aurait ni démocratie ni participation. En Italie, toutefois, ils doivent renouer avec les gens, descendre dans la rue, aller dans les banlieues. Pendant trop d'années, la politique s'est faite par le truchement de la télévision. On a besoin maintenant de parler aux citoyens, de les écouter et de les impliquer dans de grands projets. R. H. - Revenons à vos débuts. À 18 ans, en 1968, au lieu de descendre dans la rue comme le font les étudiants parisiens, vous choisissez de fonder une communauté ecclésiale, Sant'Egidio, après avoir milité au sein du mouvement catholique Communion et Libération (4). Pour quelles raisons ? A. R. - La création de Sant'Egidio s'est étalée sur cinq ou six ans, jusqu'à ce que la communauté s'installe en 1974 dans un ancien couvent situé au coeur du quartier populaire du Trastevere à Rome. Je n'ai pas vraiment adhéré à Communion et Libération, mais j'ai milité dans les mouvements de la Jeunesse étudiante. Dans le climat de renouveau qui régnait à l'époque, j'ai pensé que l'Évangile pouvait apporter une contribution fondamentale. C'est pourquoi je me suis attelé à le divulguer. Depuis toujours, le sort des pauvres me tient à coeur. J'ai d'abord travaillé dans les ghettos et dans les quartiers déshérités des banlieues de Rome. Sant'Egidio s'enracine dans la réalité romaine. La communauté compte aujourd'hui cinq églises et 40 centres dans les environs …