Les Grands de ce monde s'expriment dans

UNE BANQUE POUR L'EUROPE

Entretien avec Werner Hoyer, Président de la Banque européenne d'investissement par Jean-Paul Picaper, responsable du bureau allemand de Politique Internationale.

n° 136 - Été 2012

Werner Hoyer Jean-Paul Picaper - Bonjour, Monsieur Hoyer. Comment doit-on vous appeler ? Monsieur le Ministre ou Monsieur le Président ? Werner Hoyer - Les titres, vous le savez, désignent surtout des fonctions. Comme j'ai eu la chance, dans mon activité professionnelle, d'exercer de telles fonctions dans des domaines très variés, ne choisissons pas ! Appelez-moi simplement « Monsieur Hoyer ». J'en serais très heureux. J.-P. P. - Depuis que François Hollande - avec quelques autres - a fait de la croissance européenne son cheval de bataille, la BEI se trouve placée sous le feu des projecteurs. Lors du dernier sommet européen du 23 mai 2012, il a été décidé d'augmenter son capital de 10 milliards d'euros, portant ainsi sa capacité de prêt à 60 milliards d'euros. Quelles sont les répercussions de cette soudaine notoriété sur votre travail ? W. H. - Eh bien, tout d'abord, notre visibilité s'en trouve renforcée. Le siège de la Banque étant situé à Luxembourg, il n'est guère étonnant que nous soyons passés jusqu'ici un peu inaperçus à Bruxelles et dans les capitales des États membres de l'UE. Mais, vous le rappeliez, les choses ont radicalement changé en quelques semaines seulement. Brusquement, tout le monde parle de nous. J.-P. P. - Oui, plus que de la BERD et même que de la BCE. Avez-vous été invité à participer à l'élaboration d'un pacte de croissance en complément du pacte budgétaire européen ? W. H. - Oui, nous y avons effectivement participé. Des discussions communes ont été menées à plusieurs niveaux à Bruxelles, à Luxembourg et dans les capitales des États membres. On doit définir le champ des possibilités, les actions qui peuvent être entreprises et les conditions dans lesquelles elles peuvent être mises en oeuvre - ce qui n'est possible que sur la base d'une très étroite concertation. Le pacte budgétaire n'est pas fondamentalement nouveau, mais le degré d'engagement financier qui pourra être appliqué au titre de ce pacte est en nette augmentation. J.-P. P. - Faut-il poursuivre la politique d'austérité pour assainir les comptes ? W. H. - À mes yeux, l'assainissement des finances publiques et la croissance sont les deux faces d'une même médaille. Les divergences portent plutôt sur les moyens à mettre en oeuvre et sur le type de croissance qu'il faut générer. Les économistes se querellent sur cette question depuis près de 150 ans. Il n'est donc pas anormal que ces lignes de clivage se retrouvent sur le terrain politique. J.-P. P. - On dit que les États d'Europe n'utilisent pas intégralement les fonds qui sont mis à leur disposition par l'UE. Est-ce vrai ? W. H. - Il faut distinguer deux choses : les fonds structurels (4), qui sont des ressources budgétaires, et qui viennent en complément de financements nationaux ; et les prêts de la BEI, qui sont du seul ressort de notre banque. Le grand intérêt d'un prêt de la BEI réside dans les conditions dont il est assorti. Ces conditions sont, en règle générale, plus avantageuses que celles proposées par les banques commerciales. S'il en est ainsi, c'est parce que la BEI présente la qualité de crédit la plus élevée qui soit. Grâce à sa note AAA, elle est en mesure de se refinancer sur le marché des capitaux à des taux favorables, dont elle fait à son tour bénéficier ses emprunteurs. Elle peut, en outre, prêter à des échéances de plusieurs dizaines d'années, même à 30 ans, voire à 40 ans dans certains cas. Enfin, les volumes engagés sont très conséquents, allant souvent jusqu'à un demi-milliard d'euros ou davantage. Si l'on considère les fonds structurels, il est vrai qu'en Grèce, par exemple, les ressources n'ont pas pu être absorbées dans leur totalité, ce qui a réduit d'autant la part du cofinancement. J.-P. P. - Cette situation est-elle due au fait qu'il n'y a en Grèce aucune industrie en état de marche dans laquelle on pourrait investir ? MM. Rösler et Schäuble avaient évoqué l'idée d'y installer des centrales solaires (5). Ne serait-ce pas une possibilité ? W. H. - Oui, tout à fait. L'énergie, les infrastructures, y compris les infrastructures en réseau, tout comme, sur un autre plan, les petites et moyennes entreprises (PME), sont autant de domaines essentiels dans lesquels il faut investir si l'on veut créer une croissance véritablement durable. S'agissant de la Grèce, la BEI est déjà présente sur le créneau de l'énergie solaire. Nous lui accordons des prêts en faveur de grands projets d'infrastructures, comme les aéroports et les réseaux métropolitains (6). Et nous travaillons en étroite collaboration avec la Commission européenne et l'administration grecque pour aider les PME. Tout récemment encore, nous avons conclu un contrat portant sur un fonds commun de garantie de plus de 500 millions d'euros, qui permettra, par effet de levier, de mobiliser des garanties de la BEI sur un volume de 1 milliard d'euros au total. Ces prêts sont distribués aux entreprises grecques par l'intermédiaire de nos banques partenaires locales. J.-P. P. - Quels projets de grande envergure voudriez-vous soutenir en Europe afin de créer des emplois et de la croissance ? W. H. - Les PME, je vous l'ai dit, sont l'un de nos principaux axes d'intervention. Vous n'ignorez pas qu'à l'heure actuelle il est très difficile pour ces entreprises de se procurer de l'argent frais. C'est la raison pour laquelle, rien qu'en 2011, le groupe BEI (auquel appartiennent la BEI mais aussi le FEI, le Fonds européen d'investissement) a mis à la disposition des PME un volume record de 13 milliards d'euros. Ces fonds ont permis de financer quelque 120 000 PME. On ne dira jamais assez l'importance que revêtent ces entreprises pour l'économie européenne. Dans le secteur privé, elles représentent plus des deux tiers des emplois. En les soutenant, nous contribuons à la croissance et à l'emploi. Quant aux grands projets auxquels vous faites allusion, nous misons notamment sur l'extension des réseaux, dans le secteur de l'énergie comme dans celui du haut débit ou des transports. Nous investissons dans l'efficacité énergétique et dans les énergies renouvelables, …