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UNION EUROPEENNE : LES DEFIS DE LA PRESIDENCE CHYPRIOTE

Entretien avec Erato Kozakou-Marcoullis, Ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre par Jean Catsiapis, Maître de conférences à l'Université Paris-X, spécialiste de la Grèce et de Chypre

n° 136 - Été 2012

Erato Kozakou-Marcoullis Jean Catsiapis - La République de Chypre assume la présidence tournante de l'UE depuis le 1er juillet 2012. Comment votre pays s'est-il préparé à cette échéance ? Quels sont les projets précis qu'il compte mettre en oeuvre ? Erato Kozakou-Marcoullis - Cette présidence, qui revêt une importance particulière pour un petit pays comme le nôtre (2), sera consacrée à plusieurs dossiers majeurs : le nouveau Cadre financier pluriannuel (3) sur lequel ont planché les trois présidences précédentes et que Chypre a l'intention de conclure avant la fin 2012 ; le resserrement des liens avec les partenaires méditerranéens et les pays du Golfe, en liaison avec la Haute Représentante Madame Ashton, qui est en charge des relations internationales de l'UE ; les perspectives européennes des États des Balkans occidentaux et la marche à l'adhésion de l'Islande ; sans oublier l'achèvement du Système d'asile européen commun (4). Bien entendu, l'île de Chypre, qui dispose de la 7e flotte marchande au monde, fera de la politique maritime intégrée l'une de ses toutes premières priorités. Une réunion informelle des ministres sera consacrée à cette question en octobre prochain. J. C. - La crise grecque, dont l'économie chypriote et les banques de la République de Chypre ont déjà subi les conséquences douloureuses, continue de faire rage. Comment votre gouvernement pourra-t-il contribuer à imposer les décisions de l'Eurogroupe (5) - auquel appartient votre pays - à la Grèce... alors que celle-ci est la puissance garante de l'indépendance de Chypre depuis 1960 ? E. K.-M. - Il n'est pas question d'imposer des décisions à qui que ce soit, pas plus à la Grèce qu'à n'importe quel autre pays qui se trouverait confronté aux mêmes difficultés. Les décisions sont et doivent être prises sur la base de la solidarité. Mais, au-delà des mesures visant à renforcer la gouvernance économique et l'assainissement financier, les citoyens européens veulent aussi que l'Europe adopte une politique en faveur du développement et de l'emploi. En tout cas, ce qui est clair, c'est que la sortie de l'euro n'est une solution pour personne. J. C. - La Turquie - qui refuse de reconnaître diplomatiquement la République de Chypre (6) - a déclaré qu'elle gèlerait ses relations avec l'UE à compter du 1er juillet si, avant cette date, la question chypriote n'a pas été réglée. Votre présidence de l'UE ne sera-t-elle pas handicapée par cette mise en garde d'Ankara ? E. K.-M. - Les déclarations des dirigeants turcs sur la présidence chypriote sont offensantes non seulement pour Chypre, mais aussi pour l'ensemble de l'Union européenne. La présidence du Conseil de l'UE est une obligation et un droit qui découle de la qualité d'État membre. Nous attendons à tout le moins de la Turquie, en tant que candidate à l'adhésion à l'UE, qu'elle respecte le rôle institutionnel de cette présidence. C'est également le voeu exprimé par le Conseil européen de décembre 2011, qui a fait part du vif mécontentement et de l'inquiétude de l'UE face à la position turque. Dimitri Christofias, notre président, l'a dit et répété : rien n'empêchera les négociations intercommunautaires de continuer durant l'exercice de la présidence chypriote du Conseil de l'UE. Nous sommes disposés à mener de front ces deux challenges sans que l'un ne porte préjudice à l'autre. Mais nous n'accepterons pas de négocier sous la menace d'Ankara. Si la Turquie ne change pas de ton, c'est elle et non pas l'UE qui sortira lésée de cette présidence chypriote. J. C. - Votre gouvernement soutient le principe de l'adhésion de la Turquie à l'UE. La perspective de cette adhésion semble aujourd'hui s'éloigner tant en raison des difficultés que traverse l'Europe communautaire que du ralentissement des réformes exigées par Bruxelles. D'une manière plus générale, la politique d'élargissement de l'UE vous paraît-elle en panne ? E. K.-M. - La politique d'élargissement est l'une des plus grandes réussites de l'UE. Elle a grandement contribué à renforcer la paix, la démocratie et la stabilité en Europe. Loin de freiner le mouvement, les Européens ont, au contraire, la volonté de poursuivre sur cette voie. La Croatie verra bientôt ses efforts récompensés et deviendra le 28e membre de la famille (7) européenne. Parallèlement, les négociations d'adhésion suivent leur cours avec le Monténégro et la Serbie, qui ont obtenu le statut de candidats. S'agissant d'Ankara, le processus semble, il est vrai, marquer le pas. Notre position, qui n'a pas varié, est très claire : nous sommes favorables à l'adhésion pleine et entière de la Turquie (8) à condition que, comme tout pays candidat, elle manifeste une attitude respectueuse à l'égard de l'UE et de ses membres et qu'elle remplisse les obligations qu'elle a contractées. Elle s'est, en particulier, engagée à reconnaître tous les États membres et à collaborer avec eux sur un pied d'égalité. L'adhésion de la Turquie demeure impensable tant que ce pays occupe une partie du territoire européen et oeuvre contre la réunification de Chypre. J. C. - Depuis 1974, les négociations intercommunautaires pour le règlement de la question chypriote n'ont guère progressé. Le gouvernement de la République de Chypre ne porte-t-il pas une part de responsabilité dans cet échec ? E. K.-M. - La responsabilité de l'échec incombe à Ankara, qui possède la clé d'une solution mais qui refuse de se conformer aux résolutions de l'ONU et aux suggestions de la communauté internationale. Je vous rappelle que la « question chypriote » n'est rien d'autre qu'un problème d'occupation d'un territoire en violation du droit international et de la charte de l'ONU : depuis son invasion militaire de l'été 1974 (9), la Turquie occupe illégalement 36,2 % du territoire de la République de Chypre. Pourtant, les bases d'un règlement ont été clairement posées : la formule d'une fédération bicommunautaire et bizonale, conduisant à une réunification pacifique de l'île et de son peuple, a été acceptée par les deux communautés en 1977, confirmée en 1979 et codifiée de façon très concrète dans la résolution 1251 du Conseil de sécurité de l'ONU du 29 juin 1999. Pour nous, cette solution constitue un compromis historique qui n'a pas été …