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BELARUS : LA DERNIERE DICTATURE D'EUROPE

Le 19 décembre 2010, au soir de l'élection présidentielle bélarusse, des milliers de manifestants se sont réunis sur la place centrale de Minsk. Objectif du rassemblement : protester contre les trucages qui venaient de reconduire au pouvoir, pour la quatrième fois depuis 1994, l'inamovible Alexandre Loukachenko, déclaré vainqueur avec près de 80 % des suffrages dès le premier tour. Les autorités répondirent à ces doléances par une répression brutale : la police dispersa violemment les contestataires et des centaines de personnes furent arrêtées. Parmi elles, les principaux adversaires politiques du chef de l'État. L'opposition neutralisée, le régime s'est ensuite tourné vers l'autre « ennemi intérieur » : la communauté des défenseurs des droits de l'homme et, en premier lieu, Ales Bialiatski, le directeur du Centre des droits de l'homme « Viasna » (Printemps). Dès avril 2011, les médias d'État présentaient ce militant obstiné, fondateur de Viasna en 1996, comme l'« ennemi public numéro 1 ». Il est vrai que l'activisme de Viasna - monitoring de la situation intérieure ; surveillance électorale ; aide financière et juridique aux personnes interpellées et à leur famille - avait fait baisser, dans la population, le degré de peur de la répression. Très opportunément, Ales Bialiatski a été condamné en novembre dernier pour... fraude fiscale - un chef d'accusation qui était censé le salir mais, aussi, empêcher toute solidarité internationale et diplomatique à l'égard de celui qui est également, depuis 2007, vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), basée à Paris. Les financements étrangers sont interdits au Bélarus pour une association non enregistrée, ce qui est le cas de Viasna. Bialiatski avait donc dû, pour pouvoir utiliser l'aide versée par des organisations occidentales désireuses de soutenir Viasna, ouvrir des comptes bancaires dans deux pays voisins, la Pologne et la Lituanie. Il a suffi au parquet de se procurer des informations sur ces comptes pour le faire condamner à quatre ans et demi d'emprisonnement. Un accord sur les évasions fiscales existait en effet entre ces pays depuis 1992 et n'avait pas été réévalué suite aux changements survenus au Bélarus. Les gouvernements polonais et lituanien ont par la suite présenté leurs excuses à la femme de Bialiatski, et Vilnius a pris à sa charge les frais du procès... un peu tard. En envoyant Bialiatski derrière les barreaux, le pouvoir bélarusse croyait avoir réglé le « problème Viasna ». À tort, pour deux raisons : d'une part, le prisonnier politique a reçu d'innombrables soutiens du monde entier. De nombreux gouvernements et organisations internationales ont appelé à sa libération immédiate et inconditionnelle. Même réduit au silence dans sa colonie pénitentiaire, il continue donc de gêner les autorités de Minsk. D'autre part, Viasna n'a pas cessé ses activités puisque Valentin Stefanovitch, ami proche d'Ales Bialiatski et directeur adjoint de Viasna, a repris le flambeau... Dans l'entretien qu'il nous a accordé, M. Stefanovitch dresse un état des lieux très précis du Bélarus actuel et confie son espoir - fort mince - de voir, un jour, le pays rejoindre le cercle des nations démocratiques. R. D. Robert Dalais - La situation au Bélarus est très peu connue. Pourtant, il s'agit d'un pays situé au coeur de l'Europe, aux frontières de l'UE. Comment expliquer cette ignorance ? Valentin Stefanovitch- Il est vrai que le Bélarus et ses problèmes sont méconnus en Europe - du moins à l'ouest de la Pologne et de la Lituanie, deux États membres de l'UE avec lesquels nous possédons une frontière commune. Ce n'est pas très étonnant : voilà des années que, malheureusement, le pays est coupé du contexte européen. En 1996, le pays a été privé de son statut d'invité spécial au Conseil de l'Europe. Le gouvernement a alors adopté une rhétorique anti-occidentale et anti-européenne qu'il n'a plus jamais abandonnée... R. D. - Si le Bélarus est si peu connu, c'est peut-être aussi dû au fait que la nation ne possède pas vraiment une identité très affirmée... V. S. - Sans doute... Le Bélarus est devenu indépendant à la suite de la chute de l'Union soviétique, en 1991. Mais le pays n'a toujours pas réellement défini son identité nationale. La majorité des citoyens, dans la vie quotidienne, parlent le russe. Si bien que la langue bélarusse - qui est la langue officielle au même titre que le russe - a été incorporée dans la liste des langues menacées de disparition établie par l'Unesco ! Dès lors, il n'est pas étonnant que de nombreux Européens pensent que le Bélarus fait partie de la Russie. Si les Bélarusses ne s'intéressent pas à eux-mêmes et à leurs spécificités, il est difficile de s'attendre à ce que le reste du monde le fasse à leur place... R. D. - Quand on regarde les symboles du régime - drapeau, parades militaires, etc. -, on a l'impression d'avoir affaire au dernier pays communiste d'Europe, à un vestige de l'Union soviétique. Est-ce ainsi que vous le définiriez ? V. S.- Je suis né et j'ai vécu en URSS jusqu'à l'âge de dix-neuf ans et, effectivement, je ne peux que constater l'existence de nombreuses similitudes entre le régime de Loukachenko et le passé soviétique. La première décision de Loukachenko, après son arrivée au pouvoir en 1994, a été d'organiser un référendum sur la modification des symboles de l'État : le drapeau blanc-rouge-blanc de l'indépendance et les armoiries historiques, jugées « nationalo-bourgeoises », ont été remplacés par les symboles de la République socialiste soviétique de Biélorussie. Pour Loukachenko, la « symbolique soviétique » est importante : les parades, le culte de la Seconde Guerre mondiale, les organisations de masse de la jeunesse chapeautées par l'État (comme les « Pionniers de l'union républicaine bélarusse de la jeunesse »), et ainsi de suite... Il y a même des commissaires politiques dans les entreprises ! Et, bien entendu, les méthodes que notre gouvernement emploie pour faire taire les voix critiques rappellent fort celles que le bon vieux KGB soviétique utilisait contre les dissidents. Notez, d'ailleurs, que nous avons conservé le nom du KGB pour nos services spéciaux ! R. D. - Bref, il s'agit …