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ITALIE : SOUFFRIR POUR GUERIR

En pleine bourrasque monétaire, le président de la République italienne Giorgio Napolitano, angoissé à l'idée que la troisième économie européenne puisse être rattrapée par la crise grecque, fait appel en novembre 2011 à un technocrate pour succéder à Silvio Berlusconi : un universitaire réputé pour ses talents d'économiste et ses irréprochables états de service européens (1). Mario Monti, un Lombard de 69 ans né à Varese le 19 mars 1943, est investi président du Conseil le 18 novembre. Une semaine auparavant, le 9 novembre, le chef de l'État l'avait nommé sénateur à vie. Mario Monti fut pendant dix ans membre de la Commission de Bruxelles. C'est Silvio Berlusconi qui, à peine élu président du Conseil en avril 1994, lui demande d'y représenter l'Italie aux côtés de la radicale Emma Bonino. Dans un premier temps, Jacques Santer lui confie les portefeuilles du marché intérieur, des services financiers, de l'intégration financière, de la fiscalité et de l'Union douanière. Lorsque la Commission se démet en bloc en 1999 à la suite d'un abus de pouvoir, Mario Monti, qui n'est pas concerné par cette affaire, est confirmé à un autre poste : celui de la concurrence. C'est lui qui bloquera, en 2001, la proposition de fusion entre Microsoft et Honeywell Bull, considérant qu'elle dérogeait aux normes antitrust. Il infligera au géant américain dirigé par Bill Gates une amende colossale de 497 millions de dollars. Son mot d'ordre est déjà : « À bas les privilèges ! » Mario Monti est un libéral formé à l'école du prix Nobel d'économie, le professeur James Tobin (celui de la taxe sur les transactions financières), dont il fut l'élève à l'Université de Yale. À son retour des États-Unis, au début des années 1970, il se tourne vers l'enseignement : il devient professeur d'économie politique à la Bocconi de Milan, principale pépinière de talents et de décideurs du pays, puis directeur de l'Institut d'économie politique. Parallèlement, pendant dix ans, il dirige le Giornale degli Economisti. À la fin des années 1980 commence pour Mario Monti une période d'intense activité. Il est nommé à la tête de la commission nationale sur le crédit et la finance, puis de la commission Sarcinelli sur la réforme de l'administration. Il participe aussi à des commissions sur la réforme de la dette publique sous les gouvernements d'Enrico De Mita (1988-1989) et de Giuliano Amato (1992-1993). En 1989, il devient recteur de l'université Bocconi avant d'en prendre la présidence en 1994 à la mort de son maître à penser, l'ancien président du Conseil républicain Giovanni Spadolini. Il occupera à nouveau ce poste, en 2004, lorsqu'il quittera ses fonctions à la Commission de Bruxelles. Mario Monti compense sa discrétion et son apparence austère par un humour décapant et une pensée audacieuse. Alors qu'on lui demandait, en novembre 2011, lors de son investiture à la présidence du Conseil, s'il voulait être appelé Président ou Professeur, il avait fait rire le Parlement en répondant : « Appelez-moi Professeur. L'un de mes illustres prédécesseurs, Giovanni Spadolini, avait coutume de dire : les Présidents passent, les Professeurs restent. » Ses goûts sont demeurés modestes. Il refuse tout train de vie ostentatoire et mène une existence simple en famille. Après sa nomination, il décide de s'installer au palais Chigi, malgré l'exiguïté de l'appartement attribué au président du Conseil. Catholique pratiquant, il fréquente assidûment l'église. Son épouse Elsa Antonioli, sa cadette de un an, était une volontaire de la Croix-Rouge. Aujourd'hui encore, alors que son mari dirige le gouvernement, on la voit souvent faire son marché. En un an, Mario Monti a réussi à s'imposer au premier rang de la scène internationale. Angela Merkel voit en lui un interlocuteur privilégié et Barack Obama le consulte régulièrement sur les questions européennes. Pour le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, il est « the right man in the right place at the right time »...R. H. Richard Heuzé - Monsieur le Président du Conseil, le 16 novembre, vous fêterez le premier anniversaire de votre installation au palais Chigi. Jamais un gouvernement italien ne s'était autant impliqué dans le redressement des comptes publics. Vous attendiez-vous à faire face à de telles difficultés ? Mario Monti - Je savais bien que la tâche serait difficile. Ma première priorité a consisté à garantir l'équilibre du budget pour l'année 2013, afin d'engager la dette publique sur une pente descendante. Il a fallu, pour cela, prendre des mesures impopulaires comme la réintroduction de la taxe foncière et l'augmentation de l'âge du départ à la retraite. Les dépenses publiques ont été systématiquement revues à la baisse à tous les niveaux : national, régional et local. L'autre grand chantier, encore plus compliqué, est celui des réformes structurelles. Pour dynamiser la croissance, il a fallu libérer les forces de l'économie. Les entraves à la concurrence ont été levées dans le secteur de l'énergie et des autres industries dites de réseau ainsi que dans les professions libérales et les services économiques locaux (2). Les instances de régulation ont vu leur indépendance et leurs pouvoirs renforcés. L'administration a été modernisée ; le marché du travail, rendu plus flexible et plus juste, ce qui devrait contribuer à accroître la productivité. La justice a été réformée. Il y a encore beaucoup à faire, mais l'OCDE a récemment estimé que les réformes que nous avons réalisées permettront de gagner quatre points de croissance sur dix ans. R. H. - Après avoir longtemps écarté cette hypothèse, vous n'excluez plus à présent de rester à la tête du gouvernement après les élections législatives du début 2013 si - je vous cite - « les circonstances étaient telles qu'on vienne me le demander ». Comment envisagez-vous les choses ? M. M. - Je n'envisage rien, en tout cas rien de plus que ce que les commentateurs peuvent en dire. Le président de la République m'a confié le pays pour une tâche précise et une période bien déterminée. La législature actuelle se termine en avril 2013, date à laquelle il y aura des élections. Comme je l'ai affirmé plusieurs fois, l'Italie doit retrouver les voies d'un processus démocratique normal et il n'y a aucune raison pour que ce scrutin ne permette pas de dégager une majorité à même de gouverner. Ce que j'ai dit récemment, c'est que, dans l'hypothèse où il apparaîtrait impossible de constituer une telle majorité, je serais là. Et s'il le fallait, je continuerais. R. H. - Vous avez engagé une série de réformes douloureuses pour les Italiens afin de restaurer la crédibilité internationale du pays : plan « sauver l'Italie », réforme des retraites, libéralisation, lutte contre la fraude fiscale, réforme du droit du travail, réduction des dépenses publiques, etc. Avez-vous été surpris par le soutien que les forces politiques - toutes tendances confondues - vous ont apporté ? M. M. - Dans une certaine mesure, oui. Nous avons proposé plusieurs centaines de mesures et avons très souvent sollicité …