Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA CHINE EN AFRIQUE

William Gumede, 41 ans, influent économiste et politologue sud-africain, est professeur associé au département de Gestion du développement et des administrations de l'Université du Witwatersrand, à Johannesburg. Auteur de plusieurs essais politiques, cet ancien rédacteur en chef adjoint du quotidien noir The Sowetan s'est spécialisé dans les relations entre l'Afrique et la Chine, et conseille de grandes entreprises et institutions de financement sud-africaines sur ces dossiers. Unique marché émergent du continent noir, l'Afrique du Sud a rejoint en janvier 2010 le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde et Chine). Johannesburg, la capitale économique du pays, est ainsi devenue un lieu d'observation privilégié des relations sino-africaines. Pour Politique Internationale, William Gumede les décrypte avec un regard critique. S. C. Sabine Cessou - Quand la Chine a-t-elle commencé à s'intéresser à l'Afrique ? William Gumede - Cet intérêt remonte à l'époque des indépendances, dans les années 1950 et 1960. La construction d'un chemin de fer en Tanzanie a été le premier grand projet réalisé au sud du Sahara par les Chinois. À l'époque, l'ancienne puissance coloniale britannique n'avait pas voulu le financer. La Chine, elle, n'avait pas d'argent. Elle était attirée par l'Afrique d'abord et avant tout pour des raisons politiques. Après la brouille entre Nikita Khrouchtchev et Mao Tsé-toung, en 1960, Pékin s'est mis en quête d'alliés sur le continent noir. Alors que Moscou était en pleine déstalinisation et contestait ce qu'il était convenu d'appeler la « voie chinoise vers le socialisme », Pékin a décidé de soutenir les mouvements de libération nationale et des leaders de gauche comme Julius Nyerere en Tanzanie ou Kwame Nkrumah au Ghana. Ce soutien s'est opéré sur des bases idéologiques. Il a bénéficié aux mouvements les plus clairement marxistes-léninistes : le Congrès panafricain (PAC) en Afrique du Sud, l'Union nationale africaine du Zimbabwe (Zanu) ou encore le Front de libération du Mozambique (Frelimo). Dans les années 1970, plusieurs cadres de ces mouvements ont reçu un entraînement militaire en Chine. S. C. - À partir de quel moment cet intérêt est-il devenu plus mercantile ? W. G. - Après l'essor de l'économie chinoise, dans les années 1980. Ce n'est qu'au milieu des années 1990 que l'approche africaine de la Chine s'est vraiment transformée, dans un contexte de croissance économique massive. Les Chinois sont alors devenus plus agressifs. La fin de la guerre froide les a incités à défendre leur révolution face à ce qu'ils considéraient comme les assauts de l'Occident contre la Russie. Ils ont durci la répression à l'égard de leurs propres dissidents et sont entrés dans une nouvelle phase de recherche active de soutiens politiques en Afrique. La question de la reconnaissance de Taiwan - une île qui s'est dotée d'un régime démocratique mais dont l'indépendance est contestée par la République populaire de Chine - a également pesé sur les relations sino-africaines. Pékin n'a pas hésité à rétribuer le ralliement des nations africaines. Ce qui explique pourquoi la plupart des États africains ne reconnaissent pas Taiwan. S. C. - Est-ce le cas de l'Afrique du Sud ? W. G. - Oui, mais le ralliement à Pékin a été plus tardif : c'est Thabo Mbeki, le successeur de Nelson Mandela, qui a décidé d'instaurer des relations diplomatiques avec la Chine. À l'époque, tout le monde n'était pas d'accord au sein du Congrès national africain (ANC). Les grands syndicats noirs du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu), alliés de l'ANC au sein de l'alliance tripartite au pouvoir (ANC, Cosatu et Parti communiste sud-africain, SACP), étaient catégoriquement opposés à des investissements chinois. Pourquoi ? À cause des effets dévastateurs, pour l'industrie textile sud-africaine, des produits bon marché venus de Chine. Selon les statistiques officielles, la concurrence des produits textiles chinois a fait perdre au pays 67 …