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BELARUS : LA DERNIERE DICTATURE D'EUROPE

Entretien avec Valentin Stefanovitch, Directeur adjoint du Centre bélarusse des droits de l'homme par Robert Dalais, journaliste indépendant, spécialiste de l'espace post-soviétique

n° 137 - Automne 2012

Valentin  Stefanovitch Robert Dalais - La situation au Bélarus est très peu connue. Pourtant, il s'agit d'un pays situé au coeur de l'Europe, aux frontières de l'UE. Comment expliquer cette ignorance ? Valentin Stefanovitch- Il est vrai que le Bélarus et ses problèmes sont méconnus en Europe - du moins à l'ouest de la Pologne et de la Lituanie, deux États membres de l'UE avec lesquels nous possédons une frontière commune. Ce n'est pas très étonnant : voilà des années que, malheureusement, le pays est coupé du contexte européen. En 1996, le pays a été privé de son statut d'invité spécial au Conseil de l'Europe. Le gouvernement a alors adopté une rhétorique anti-occidentale et anti-européenne qu'il n'a plus jamais abandonnée... R. D. - Si le Bélarus est si peu connu, c'est peut-être aussi dû au fait que la nation ne possède pas vraiment une identité très affirmée... V. S. - Sans doute... Le Bélarus est devenu indépendant à la suite de la chute de l'Union soviétique, en 1991. Mais le pays n'a toujours pas réellement défini son identité nationale. La majorité des citoyens, dans la vie quotidienne, parlent le russe. Si bien que la langue bélarusse - qui est la langue officielle au même titre que le russe - a été incorporée dans la liste des langues menacées de disparition établie par l'Unesco ! Dès lors, il n'est pas étonnant que de nombreux Européens pensent que le Bélarus fait partie de la Russie. Si les Bélarusses ne s'intéressent pas à eux-mêmes et à leurs spécificités, il est difficile de s'attendre à ce que le reste du monde le fasse à leur place... R. D. - Quand on regarde les symboles du régime - drapeau, parades militaires, etc. -, on a l'impression d'avoir affaire au dernier pays communiste d'Europe, à un vestige de l'Union soviétique. Est-ce ainsi que vous le définiriez ? V. S.- Je suis né et j'ai vécu en URSS jusqu'à l'âge de dix-neuf ans et, effectivement, je ne peux que constater l'existence de nombreuses similitudes entre le régime de Loukachenko et le passé soviétique. La première décision de Loukachenko, après son arrivée au pouvoir en 1994, a été d'organiser un référendum sur la modification des symboles de l'État : le drapeau blanc-rouge-blanc de l'indépendance et les armoiries historiques, jugées « nationalo-bourgeoises », ont été remplacés par les symboles de la République socialiste soviétique de Biélorussie. Pour Loukachenko, la « symbolique soviétique » est importante : les parades, le culte de la Seconde Guerre mondiale, les organisations de masse de la jeunesse chapeautées par l'État (comme les « Pionniers de l'union républicaine bélarusse de la jeunesse »), et ainsi de suite... Il y a même des commissaires politiques dans les entreprises ! Et, bien entendu, les méthodes que notre gouvernement emploie pour faire taire les voix critiques rappellent fort celles que le bon vieux KGB soviétique utilisait contre les dissidents. Notez, d'ailleurs, que nous avons conservé le nom du KGB pour nos services spéciaux ! R. D. - Bref, il s'agit d'une URSS en miniature... V. S.- Pas exactement. Le Bélarus actuel se distingue de l'URSS d'hier en de nombreux points. En premier lieu, le principe de la propriété privée existe chez nous. L'économie est largement contrôlée par l'État, mais c'est tout de même une économie de marché. D'ailleurs, il y a, au Bélarus, des businessmen très riches. L'autre grande différence réside dans l'absence d'une idéologie totalitaire qui vise à s'immiscer dans les moindres aspects de la vie de chaque individu. Et puis les frontières sont ouvertes, ou presque... Il n'empêche : à bien des égards, le pays demeure coincé dans une sorte de faille temporelle. R. D. - Pas d'idéologie totalitaire, dites-vous. Mais alors, qui contrôle le pays ? Comment le régime fonctionne-t-il ? V. S. - Le système bélarusse est un régime autoritaire dont le but premier est de perpétuer le pouvoir personnel d'Alexandre Loukachenko. Grâce aux deux réformes constitutionnelles qu'il a introduites en 1996 et en 2004, la quasi-intégralité des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est concentrée entre les mains d'un seul homme - un homme qui est constitutionnellement autorisé à effectuer un nombre illimité de mandats présidentiels. Étrangement, Loukachenko ne possède pas de parti dans le sens classique du terme. Son « parti », c'est la verticale du pouvoir exécutif. Cette verticale est incarnée par les chefs des comités exécutifs municipaux, provinciaux et régionaux. Loukachenko les nomme directement. Il faut y ajouter les syndicats d'État et les organisations de jeunesse - autant d'entités au service exclusif du « batka » (le petit père, comme il aime à se surnommer lui-même)... R. D. - Dans ce contexte, quel est le rôle du Parlement ? V. S. - Vous vous en doutez : ce rôle est très limité. Le Bélarus est doté d'un Parlement bicaméral, mais il s'agit essentiellement d'une coquille vide. Le président a, en effet, le droit d'émettre des décrets qui ont force de loi. Dès lors, les activités du Parlement sont tout à fait secondaires. Loukachenko tient cependant à préserver les apparences : tous les quatre ans ont lieu des élections législatives au suffrage universel. Mais, depuis 1995, aucune élection n'a été reconnue par l'OSCE comme étant libre, juste et démocratique. La composition du Parlement parle d'elle-même : il n'y a pas un seul représentant des partis politiques d'opposition ; il n'y a pas de groupes parlementaires ; et les citoyens ne savent même pas qui sont les députés censés les représenter (1) ! R. D. - Il existe donc des partis politiques de l'opposition ? V. S. - Un certain nombre de partis politiques sont officiellement enregistrés auprès du ministère de la Justice. Ils représentent des idéologies très variées. Mais ces formations n'ont pas de représentants dans les administrations locales, ni a fortiori au Parlement (même si celui-ci est, comme je viens de le dire, totalement dénué de pouvoir réel). L'exécutif contrôle tout. Dans un système pareil, l'opposition n'a aucune chance de remporter les élections ni même d'influencer la politique conduite par les autorités locales …