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CRISE ECONOMIQUE : LE REMEDE MIRACLE

Entretien avec Steve Forbes, Propriétaire et rédacteur en chef de Forbes Magazine par Dan Raviv, correspondant de la radio CBS à Washington, ancien correspondant à Londres et au Moyen-Orient.

n° 137 - Automne 2012

Steve Forbes Dan Raviv - Vous ne vous êtes pas engagé dans la course présidentielle cette année, mais vous avez fait campagne en faveur de ce que vous appelez « Le manifeste de la liberté ». Il s'agit d'un appel à laisser les marchés fonctionner librement et à restreindre au strict minimum les interventions de l'État dans l'économie. Y a-t-il des personnalités publiques actuelles que vous admirez parce qu'elles partagent cette vision de la liberté des marchés ? Steve Forbes - À vrai dire, j'éprouve de l'admiration pour des nations plus que pour des individus. Certaines nations connaissent une réussite absolument remarquable depuis maintenant plusieurs années. Elles démontrent par l'exemple qu'il est possible d'institutionnaliser la liberté économique. Prenons le cas de la Pologne. Sa politique intérieure est très agitée, mais le pays se porte bien. Pourquoi ? Parce que ses leaders ne perdent jamais de vue l'essentiel : créer et entretenir un climat propice à la croissance économique. Au cours de ces dernières années, les Polonais ont procédé à la privatisation de quelque neuf cents entreprises, dont certaines affichaient un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard de dollars par an. Ils ont donc sensiblement réduit la part de l'État dans l'économie. Des pays comme la Grèce devraient s'inspirer de cet exemple - mais, hélas, ils s'y refusent... J'ai également remarqué que, depuis quelques années, la Suède n'a cessé de baisser ses impôts. Et que constate-t-on ? Que, comparativement au reste de l'Europe, les Suédois s'en sortent bien ! Il faut aussi regarder ce qui s'est passé dans les pays baltes : en Lituanie, en Lettonie et, surtout, en Estonie. Quand la crise mondiale a frappé les États dont l'économie était dans une très large mesure fondée sur le commerce, l'Estonie a subi un coup très dur. Et comment s'en est-elle sortie ? En procédant à des coupes drastiques dans les dépenses de l'État. Les salaires des employés de la fonction publique ont été baissés de 10 %. Quant aux ministres, ils ont accepté de réduire leur rémunération de 20 %. En Lituanie, le salaire du premier ministre a carrément été divisé par deux ! Et, aujourd'hui, tous ces pays ont retrouvé la croissance. Maintenant, comparons l'Estonie à d'autres pays. Aux États-Unis, le ratio de la dette par rapport au PIB est de 100 %. En Grèce, il est de 170 %. Le Japon détient le record en la matière avec 200 %. En Estonie, ce ratio s'élève à seulement 6 %! Vous le voyez : certains pays ont prouvé qu'il était possible de mettre en oeuvre des politiques de long terme très efficaces. N'est-ce pas admirable ? D. R. - Ce modèle est-il applicable à de grandes économies comme celle de l'Allemagne ? S. F. - Absolument. L'Allemagne doit en appeler aux mânes de Ludwig Erhard, qui fut le chancelier de la RFA de 1963 à 1966. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il occupait le poste de ministre de l'Économie et des Finances, il a stupéfié les officiels britanniques et américains. Du jour au lendemain, il a supprimé tous les contrôles étatiques datant de la guerre : sur les prix, sur les niveaux de production, sur les salaires... Il les a tous supprimés ! Ensuite, il a créé une devise à partir de rien : le deutschemark. Au même moment, il lançait un programme de réduction systématique des impôts. C'est alors qu'a commencé le « miracle allemand ». Un processus similaire s'est produit au Japon. Les premières années d'après-guerre ont été marquées par une inflation extrêmement élevée. Pour y remédier, en 1950, les Japonais ont arrimé le yen à l'étalon-or, via le dollar. Au cours du quart de siècle suivant, le Japon n'a cessé de baisser les impôts, année après année ; il a placé les dépenses du gouvernement sous un contrôle étroit ; et il a obtenu un taux de croissance annuel de 10 % ! D. R. - Mais cette baisse d'impôts n'a-t-elle pas été rendue possible par l'aide étrangère versée à ces pays ? Le Japon a pu s'appuyer sur le soutien technique et financier des États-Unis ; quant à la RFA et aux autres pays d'Europe de l'Ouest, ils ont bénéficié du plan Marshall... S. F. - En proportion, l'Allemagne a reçu bien moins d'aide dans le cadre du plan Marshall que la France, les Pays-Bas, l'Italie ou même la Grande-Bretagne. En fait, il y a presque une corrélation directe : moins un pays reçoit d'aide en provenance de l'étranger, mieux il se porte ! Pour un exemple plus récent, tournons-nous vers la Nouvelle-Zélande. Dans les années 1980, Sir Roger Douglas était le ministre des Finances, au sein d'un gouvernement travailliste. J'insiste sur ce point : c'est le parti travailliste qui exerçait le pouvoir. Douglas a lancé un vaste programme destiné à réduire la taille de l'État. Il n'a pas touché au « filet de sécurité » qui protège les catégories les plus pauvres de la population, mais il s'est sérieusement occupé des dimensions de l'État. Il a baissé et considérablement simplifié les impôts. Ensuite, le gouvernement de Wellington a pris une décision sans précédent dans le monde entier. La Nouvelle-Zélande, vous le savez, dépend largement de l'agriculture - dans ce pays, il y a plus de moutons que d'habitants ! Eh bien, le gouvernement a supprimé tous les subsides accordés jusqu'alors aux agriculteurs. Ceux-ci se sont retrouvés devant un dilemme très simple : apprendre à nager par eux-mêmes ou... couler. Une trentaine d'années plus tard, on peut admirer le résultat : la Nouvelle-Zélande est devenue un exportateur formidable qui compte des clients dans le monde entier. D. R. - Tous les exemples que vous citez se caractérisent par une réduction substantielle de la taille de l'État et des dépenses publiques. À l'heure actuelle, ces mesures sont souvent résumées en un mot : austérité. S'agit-il d'un gros mot pour vous ? S. F. - Certainement pas ! Selon moi, ce terme est un gros mot seulement lorsqu'il s'applique au secteur privé. Il faut regarder les …