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ITALIE : SOUFFRIR POUR GUERIR

Entretien avec Mario Monti, Président du Conseil italien depuis novembre 2011. par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie

n° 137 - Automne 2012

Mario Monti Richard Heuzé - Monsieur le Président du Conseil, le 16 novembre, vous fêterez le premier anniversaire de votre installation au palais Chigi. Jamais un gouvernement italien ne s'était autant impliqué dans le redressement des comptes publics. Vous attendiez-vous à faire face à de telles difficultés ? Mario Monti - Je savais bien que la tâche serait difficile. Ma première priorité a consisté à garantir l'équilibre du budget pour l'année 2013, afin d'engager la dette publique sur une pente descendante. Il a fallu, pour cela, prendre des mesures impopulaires comme la réintroduction de la taxe foncière et l'augmentation de l'âge du départ à la retraite. Les dépenses publiques ont été systématiquement revues à la baisse à tous les niveaux : national, régional et local. L'autre grand chantier, encore plus compliqué, est celui des réformes structurelles. Pour dynamiser la croissance, il a fallu libérer les forces de l'économie. Les entraves à la concurrence ont été levées dans le secteur de l'énergie et des autres industries dites de réseau ainsi que dans les professions libérales et les services économiques locaux (2). Les instances de régulation ont vu leur indépendance et leurs pouvoirs renforcés. L'administration a été modernisée ; le marché du travail, rendu plus flexible et plus juste, ce qui devrait contribuer à accroître la productivité. La justice a été réformée. Il y a encore beaucoup à faire, mais l'OCDE a récemment estimé que les réformes que nous avons réalisées permettront de gagner quatre points de croissance sur dix ans. R. H. - Après avoir longtemps écarté cette hypothèse, vous n'excluez plus à présent de rester à la tête du gouvernement après les élections législatives du début 2013 si - je vous cite - « les circonstances étaient telles qu'on vienne me le demander ». Comment envisagez-vous les choses ? M. M. - Je n'envisage rien, en tout cas rien de plus que ce que les commentateurs peuvent en dire. Le président de la République m'a confié le pays pour une tâche précise et une période bien déterminée. La législature actuelle se termine en avril 2013, date à laquelle il y aura des élections. Comme je l'ai affirmé plusieurs fois, l'Italie doit retrouver les voies d'un processus démocratique normal et il n'y a aucune raison pour que ce scrutin ne permette pas de dégager une majorité à même de gouverner. Ce que j'ai dit récemment, c'est que, dans l'hypothèse où il apparaîtrait impossible de constituer une telle majorité, je serais là. Et s'il le fallait, je continuerais. R. H. - Vous avez engagé une série de réformes douloureuses pour les Italiens afin de restaurer la crédibilité internationale du pays : plan « sauver l'Italie », réforme des retraites, libéralisation, lutte contre la fraude fiscale, réforme du droit du travail, réduction des dépenses publiques, etc. Avez-vous été surpris par le soutien que les forces politiques - toutes tendances confondues - vous ont apporté ? M. M. - Dans une certaine mesure, oui. Nous avons proposé plusieurs centaines de mesures et avons très souvent sollicité la confiance du Parlement afin de boucler les dossiers plus rapidement. Les partis politiques qui soutiennent ce gouvernement - ce que j'ai appelé l'« étrange majorité » - ont fait preuve d'une grande responsabilité. R. H. - Craignez-vous, comme les marchés, que le gouvernement qui vous succédera ne détricote la rigueur budgétaire que vous avez imposée au pays ? M. M. - Pour parer à ce danger, il faut se dépêcher de publier les décrets d'application lorsque cela n'a pas encore été fait. Mais le gros des réformes est déjà en place et il sera difficile de revenir en arrière. Je suis également rassuré par le fait qu'un grand nombre de responsables politiques se sont engagés à continuer sur cette route vertueuse. Ces réformes bénéficient d'ailleurs du soutien de la population. Les Italiens se rendent bien compte que, par le passé, les bons choix n'ont pas toujours été faits et que ces sacrifices sont nécessaires pour créer des emplois au profit des générations présentes et futures. R. H. - En arrivant au pouvoir, vous avez déclaré que vous souhaitiez que l'Italie redevienne un pays « normal ». En quoi consiste ce retour à la « normalité » ? M. M. - J'entends par « normal » un pays qui fasse moins parler de lui et qui, lorsque c'est le cas, en fasse parler en bien. Certaines pratiques, profondément ancrées dans les mentalités, ne sont pas dignes d'un pays développé membre du G7 - un pays qui, par surcroît, se trouve être la deuxième puissance industrielle d'Europe (3). Je pense, par exemple, à la fraude fiscale. Les observateurs estiment souvent qu'il y a une raison simple à ce phénomène : l'Italie est une nation relativement jeune - 150 ans - par rapport à ses voisins européens, et elle a développé au cours de l'Histoire une méfiance vis-à-vis des autorités « extérieures » en général et de Rome en particulier. Je pense aussi au népotisme qui a cours à tous les niveaux et qui empêche les plus méritants d'accéder aux postes qui devraient leur revenir. En ce qui me concerne, j'espère avoir contribué à rendre les Italiens moins tolérants à l'égard tant des abus de pouvoir que de la corruption et plus respectueux de leurs devoirs civiques, à commencer par celui qui consiste à payer ses impôts. C'est le seul moyen de financer des infrastructures de qualité, un système de santé digne de ce nom et un système éducatif performant. R. H. - Comment voyez-vous l'Italie dans dix ans ? M. M. - Je suis optimiste. Les actions engagées continueront de porter leurs fruits et elles seront poursuivies. Les Italiens se rendent compte que celui qui fraude le fisc est un voleur. Il vole dans la poche des citoyens honnêtes, qui sont contraints de payer davantage. Ils ont compris que de telles habitudes entachent la réputation du pays. Nous avons modernisé l'administration, imposé le principe de marchés publics réguliers et transparents et mis en concurrence les services économiques locaux. Nous avons réduit …